PRESSE – Chantier Notre-Dame – Quand des travailleurs étaient contraints de travailler sans protection pour ne pas effrayer le public

Le résumé ci-dessous est issu de
deux articles parus sur Médiapart en juillet et septembre 2019.

 

© Document Mediapart

Dans les premiers mois qui suivent l’incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris, de nombreux ouvriers s’affairent à déblayer et sécuriser l’édifice. Alors que de nombreuses alertes concernant les risques de contamination au plomb sont portées par l’inspection du travail et la Cramif, le ministère de la Culture (Maître d’ouvrage) donne pour consigne aux salariés de travailler sans EPI.

Le spécialiste d’un bureau d’étude raconte qu’en arrivant sur les lieux, les représentants du ministère de la culture  lui « ont demandé d’enlever [sa] combinaison et [son] masque en [lui] disant « vous allez faire peur à tout le monde » ».

Pourtant, avec l’incendie ce sont près de 400 tonnes de plomb, substance classée cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR), contenues dans la toiture et la flèche de la cathédrale, qui sont parties en fumée, polluant l’édifice et ses environs. Comme le signale l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), « une exposition régulière au plomb peut entraîner des conséquences graves pour la santé ». Le saturnisme, l’intoxication au plomb par inhalation ou ingestion, peut, selon la gravité, entraîner des troubles digestifs, des lésions du système nerveux ou encore des problèmes de stérilité. »

Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Inserm et spécialiste de la santé publique explique que ce sont des taux qu’on ne voit jamais. « Sur des chantiers pollués comme une usine de recyclage de batteries, par exemple, les taux sont douze fois supérieurs. Là, avec des taux 400 fois supérieurs, les conséquences pour la santé peuvent être dramatiques. Il faut absolument qu’il y ait un suivi médical, y compris pour les pompiers qui sont intervenus. Ce suivi est d’autant plus important que les effets sur la santé peuvent être différés dans le temps. »

Un proche du dossier résumera : « Des hommes en scaphandre sur le parvis de la cathédrale auraient effrayé les passants. L’existence d’un danger aurait été évidente. »

Combien d’ouvriers, combien de cordistes ont été ainsi exposés dans les premières heures du chantier ?

Un sacrifice à la demande du ministère et avec la complicité des employeurs…

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Résumé issu de ces deux articles :

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ARTICLES À LIRE EN INTÉGRALITÉ ci-dessous :


Article paru sur Médiapart, le 30 septembre 2019

Plomb à Notre-Dame:
le ministère de la culture a enterré le plan de décontamination

À la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 15 avril, le ministère de la culture a sollicité un bureau d’études spécialisé dans la dépollution qui préconisait un confinement de la cathédrale et la décontamination du plomb. Le projet a été enterré, au risque d’une grave crise sanitaire. Son auteur témoigne.

« N’importe quel chantier de Paris aurait été arrêté par les autorités si de telles conditions d’insécurité et de pollution au plomb avaient été constatées », déplore Jean* qui a accepté de témoigner auprès de Mediapart, sous le couvert de l’anonymat par crainte de représailles professionnelles.

Le 25 avril, dix jours après l’incendie de Notre-Dame, ce spécialiste de la prévention des risques et de la sécurité des chantiers est sollicité par le ministère de la culture, maître d’ouvrage, car il fait figure de référence dans le domaine : il a supervisé parmi les plus gros chantiers parisiens de ces dix dernières années.

Depuis le 17 avril, la cathédrale fait l’objet d’un arrêté de péril de la part de la préfecture de police. L’urgence impérieuse permet de recourir à un marché public, en se dispensant de publicité et de mise en concurrence préalable.

Avant d’entrer sur le site, Jean s’équipe d’un masque et d’une combinaison pour se protéger du plomb. « Ce sont près de 400 tonnes de plomb de la toiture qui se sont dispersées en poussières lors de l’incendie. C’est tout à fait naturel que je me protège, d’autant que je suis spécialisé sur les risques liés aux agents cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction comme l’est le plomb », précise-t-il.

Or, en arrivant sur les lieux, les représentants de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers (Oppic) du ministère de la culture « m’ont demandé d’enlever ma combinaison et mon masque en me disant “vous allez faire peur à tout le monde” », raconte Jean, encore abasourdi.

Il découvre alors un chantier où « il était nécessaire d’intervenir très rapidement pour mettre en œuvre des protections collectives, pour protéger non seulement les ouvriers, qui ne portaient pas les équipements de protection individuels d’usage contre les risques d’intoxication au plomb, mais également les riverains puisque le chantier n’était absolument pas confiné ».

La liste des constats dressée dans le rapport réalisé par le bureau d’études de Jean et que Mediapart a pu consulter est accablante :

« – Risque d’effondrement du bâti, pollution environnementale liée au plomb avérée.

Présence de poussières de plomb en quantités importantes et épaisses sur différentes zones extérieures et intérieures. En sont recouverts : les éléments structurels et du bâti, les sols, le parvis, la voie publique, les trottoirs et des pollutions sont apparentes sur les bâtiments voisins.

Les intervenants ne portent pas les EPIs [équipements de protection individuels] contre le risque plomb.

Cantonnements qui ne répondent pas au code du travail, occupés par des travailleurs avec beaucoup de poussières aux sols, mobiliers.

Présence de bidons avec des produits non étiquetés.

Présence de déchets du BTP vraisemblablement contaminés. »

« Aucune installation ne remplissait les mesures de sécurité, résume Jean. Il était urgent de réaliser un périmètre de sécurité dans le chantier mais aussi au pourtour de l’avoisinant public pour limiter la pollution au plomb. »

La proposition du bureau d’études de Jean est donc de sécuriser l’édifice contre le risque d’effondrement, de chutes d’éléments, et d’installer ensuite des bâches et de confiner le chantier, afin de permettre aux ouvriers d’intervenir pour procéder à sa dépollution, zone par zone.

« Tout cela nécessite du temps, bien sûr. Il faut faire un état des lieux exhaustif pour identifier les dommages avec des études de spécialistes pour les sols, notamment. Il faut vérifier les fondations, les structures et les solidités de l’ouvrage avant de définir les modes opératoires et les interventions de dépollution. Pour sécuriser et confiner, il faut compter deux à trois mois. Et ensuite, le déplombage par phases, de l’ensemble du chantier, aurait pu se terminer d’ici la fin de l’année. Ce sont des dispositifs qui se font régulièrement lorsqu’on décontamine des édifices. Ça a été le cas pour le bâtiment de la Monnaie de Paris », explique Jean.

Comme le mentionne le compte-rendu de son bureau d’études, « l’objectif est la protection des travailleurs comme des riverains pour lutter contre la dispersion des poussières dans le voisinage ».

« Nous avons naturellement proposé de prendre en compte les rues et les immeubles avoisinants, exposés aux pollutions au plomb. L’idée était temporairement de mettre sous confinement étanche et résistant, sous cloche le chantier, à la fois à l’extérieur et à l’intérieur », précise Jean.

Mais le ministère de la culture n’a pas retenu la proposition du bureau d’études.

« Peut-être était-elle trop ambitieuse, estime Jean. J’ai senti que le ministère cherchait davantage un spécialiste de la sécurité qui valide des plans sans être regardant sur la sécurité afin de ne pas ralentir le chantier et ne pas s’encombrer du problème du plomb. Mais il était hors de question pour moi de déroger aux règles de sécurité. »

Contactés par Mediapart, des contrôleurs chargés du chantier ont jugé ce projet non seulement faisable mais souhaitable et regrettent qu’il n’ait pas été choisi. « C’est ce qui a été fait pour le Théâtre de la Ville à Paris. Pour Notre-Dame, cela aurait permis d’éviter une pollution continuelle sur le chantier et à l’extérieur, précise l’un d’entre eux. Et cela aurait garanti de meilleures conditions de travail. Mais tout a été fait au mépris de la santé des ouvriers et des riverains. »

Ayant décidé de ne pas dépolluer l’intérieur de la cathédrale, le ministère de la culture a installé des sas de décontamination dans l’édifice qui, comme nous l’avions révélé (à lire ici), ont dysfonctionné durant plusieurs mois.

Le témoignage de Jean conforte les multiples relances que l’inspection du travail a dû faire concernant les manquements aux règles de sécurité.

Dès le 6 mai, l’inspection du travail a alerté la Direction régionale des affaires culturelles, la Drac, en charge des travaux sur le chantier, sur la nécessité de prévoir des mesures de protection contre les risques d’intoxication au plomb pour les salariés. Constat renouvelé les 14 et 22 mai et le 19 juin. En vain. Ce n’est que trois mois plus tard, après nos premières révélations du 3 juillet et une énième alerte de l’inspection que, le 23 juillet, le préfet de Région Michel Cadot ordonne la fermeture du chantier.

 À lire aussiNotre-Dame de Paris: après l’incendie, un scandale sanitaire Notre-Dame de Paris: les alertes enterrées par le ministère de la culture 

Interrogé sur le sujet, l’architecte et lauréat du Grand Prix de l’urbanisme 2019, Patrick Bouchain, qui défend une approche sociale de la construction, regrette que ce chantier ait perdu tout sens de l’humain pour des impératifs politiques et financiers. « Demander que la restauration soit terminée dans 5 ans, pour les Jeux olympiques, c’est idiot et cela met des pressions énormes qui rendent plus complexe le travail des différents intervenants sur le site », explique-t-il.

Le 7 mai, Patrick Bouchain a été consulté, pour son expertise, par le « représentant spécial » de l’Élysée, le général Jean-Louis Georgelin, chargé de veiller à l’avancement des travaux. « Je ne me suis pas privé de lui dire le fond de ma pensée, assure l’architecte. Lors de cette réunion, il a fallu reprendre les fondamentaux et expliquer ce qu’était une maîtrise d’ouvrage. Le général ne pensait pas que c’était d’une ampleur aussi grande. On peut être spécialiste des armées mais la rénovation d’une cathédrale, c’est autre chose. »

« Lorsqu’on apprend qu’une dépollution du site était possible et que ça a été refusé par le ministère, c’est un déni inacceptable du risque que représente le plomb », estime Annie Thébaud-Mony, spécialiste des questions de santé publique et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

« Je suis extrêmement surprise que le ministère de la culture n’ait pas donné suite à ce plan de dépollution qui comporte deux avantages majeurs, poursuit-elle. Le premier est de limiter la pollution dans l’environnement de la cathédrale, en protégeant ainsi les riverains et les ouvriers et le deuxième est de garantir une meilleure organisation du travail sur le chantier, préservant la santé des salariés. »

Depuis l’incendie, Annie Thébaud-Mony met son expertise au service des riverains et des personnes travaillant autour de Notre-Dame et a contribué à créer un collectif de syndicats et d’associations. Ce 30 septembre, « nous organisons une réunion publique. Parmi nos principales revendications, précise Annie Thébaud-Mony, il y a le confinement du chantier dans sa globalité, comme le prévoit le code du travail. Nous exigeons du ministère et de l’agence régionale de santé de la transparence et que les informations soient rendues publiques ».

Contacté par Mediapart, le ministère de la culture n’a pas donné suite à nos demandes, refusant ainsi d’expliquer pourquoi il a enterré ce plan de dépollution du chantier.

* Le prénom a été changé afin de préserver l’anonymat de l’auteur du plan de dépollution qui a accepté de témoigner auprès de Mediapart.

Pascale Pascariello

Source : Médiapart

 


Article paru sur Médiapart, le 4 juillet 2019

Notre-Dame de Paris: après l’incendie, un scandale sanitaire

Des taux de concentration au plomb 400 à 700 fois supérieurs au seuil autorisé ont été relevés sur les sols à l’intérieur et aux alentours de la cathédrale Notre-Dame, selon des documents confidentiels consultés par Mediapart. Ni l’agence régionale de santé ni la préfecture de police de Paris n’ont communiqué ces résultats aux riverains, minimisant les dangers encourus.

Des taux de plomb 400 à 700 fois supérieurs au seuil autorisé ont été relevés à l’intérieur et aux alentours de Notre-Dame, par plusieurs laboratoires dont celui de la préfecture de police de Paris, après l’incendie qui a ravagé la cathédrale.

« Ce sont des taux qu’on ne voit jamais, précise Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Inserm et spécialiste de la santé publique. Sur des chantiers pollués comme une usine de recyclage de batteries, par exemple, les taux sont douze fois supérieurs. Là, avec des taux 400 fois supérieurs, les conséquences pour la santé peuvent être dramatiques. Il faut absolument qu’il y ait un suivi médical, y compris pour les pompiers qui sont intervenus. Ce suivi est d’autant plus important que les effets sur la santé peuvent être différés dans le temps. »

Les autorités concernées, le ministère de la culture, l’agence régionale de santé (ARS), la préfecture de police, passent cette pollution sous silence et, ce faisant, n’appliquent pas les mesures prévues par la loi pour protéger les salariés et les riverains.

L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, qualifié de « terrible drame » par le président Emmanuel Macron, avait provoqué un immense élan de générosité, avec plus de 400 millions d’euros récoltés en quelques jours pour la reconstruction de l’édifice.

L’Élysée désigne alors son « représentant spécial », le général Jean-Louis Georgelin, pour veiller à l’avancement des travaux. Ils iront vite, assure le président de la République, « sans jamais transiger sur la qualité des matériaux et la qualité des procédés ». En revanche, ils se font au détriment de la santé des intervenants et des populations alentour.

En effet, avec l’incendie, près de 400 tonnes de plomb, substance classée cancérigène, mutagène et reprotoxique (CMR), contenues dans la toiture et la flèche de la cathédrale, sont parties en fumée, polluant l’édifice et ses environs. Comme le signale l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), « une exposition régulière au plomb peut entraîner des conséquences graves pour la santé ». Le saturnisme, l’intoxication au plomb par inhalation ou ingestion, peut, selon la gravité, entraîner des troubles digestifs, des lésions du système nerveux ou encore des problèmes de stérilité.

Les autorités connaissent très bien ces risques. Mais il faudra attendre deux semaines après l’incendie, soit le 27 avril, pour que la préfecture de police de Paris et l’ARS diffusent, en toute discrétion, un communiqué invitant les riverains à nettoyer leurs locaux à l’« aide de lingettes humides » et à consulter leur médecin si nécessaire.

À l’intérieur de la cathédrale, selon des documents datés du 3 mai que Mediapart a pu consulter, les prélèvements sont de 10 à 740 fois supérieurs aux seuils autorisés. À l’extérieur, la situation n’est guère plus brillante. Sur le parvis, les taux de concentration en plomb prélevés sur le sol sont 500 fois au-dessus du seuil réglementaire. À l’extérieur de la zone du chantier, sur certains ponts, dans des squares ou certaines rues, ces taux sont de 2 à 800 fois supérieurs au seuil.

Selon des inspecteurs contactés par Mediapart, « ce sont des taux tout à fait exceptionnels. Généralement, sur des chantiers dits pollués, les taux peuvent être de 20 à 100 fois supérieurs au seuil. Mais rarement au-delà. Et déjà, à ce stade, des protections très strictes doivent être prises pour protéger les ouvriers. Un suivi médical peut également être exigé ».

Le secret est bien gardé, comme le montre une réunion du 6 mai dont le contenu a été rapporté par plusieurs sources à Mediapart.

Ce jour-là, dans les bureaux de l’agence régionale de santé, se retrouvent autour de la table des responsables du laboratoire central de la préfecture de police, de la mairie de Paris, du centre antipoison, de la caisse régionale d’assurance maladie et de la direction du travail. La question rapidement débattue est : faut-il ou pas communiquer les résultats des prélèvements ?

La préfecture fait part de son embarras, certains de ses locaux étant touchés par cette pollution au plomb. Avec des taux deux fois supérieurs au seuil de vigilance, la biberonnerie et la salle « mille-pattes » de la crèche de la préfecture doivent être fermées pour une décontamination en urgence. Ce qui sera fait dans les jours qui suivent.

Mais dans certains appartements de fonction, les taux peuvent aussi être jusqu’à cinq fois supérieurs au seuil de vigilance. Mediapart ne sait pas si des travaux y ont été depuis lors réalisés. De nouveaux prélèvements ont été faits par la préfecture pour vérifier l’état de ses locaux après décontamination. Ils n’ont pas, à ce jour, été communiqués aux agents.

Toujours est-il qu’afin de ne pas alarmer ses propres agents, la préfecture explique lors de la réunion qu’elle ne souhaite pas publier les résultats de ces prélèvements. Réserve partagée par l’ARS qui affirme, quant à elle, ne pas vouloir répondre aux sollicitations des associations de riverains ou de défense de l’environnement. Elles n’auront qu’à se tourner vers la commission d’accès aux documents administratifs (Cada), expliquent posément les représentants de l’ARS, qui semblent avoir oublié leur mission première, celle de prévenir les risques sanitaires.

Selon une personne présente à cette réunion, « l’ARS joue la montre. En ne communiquant pas sur les résultats, elle oblige les associations à s’adresser à la Cada et donc à s’engager dans un long parcours. Mais une fois qu’elles auront obtenu ces prélèvements, l’ARS pourra dire que ces résultats sont anciens et qu’ils ont depuis baissé. C’est d’un cynisme à toute épreuve ».

Conclusion de cette réunion : le 9 mai, la préfecture et l’ARS signent un communiqué très laconique, qui minimise les risques, alors même que certains prélèvements sur les sols sont de 20 à 400 fois supérieurs au seuil réglementaire sur des sites très fréquentés, comme le pont et la fontaine Saint-Michel, lieux non fermés au public, ou certains squares, temporairement interdits mais rouverts depuis.

En taisant les dangers de la sorte, les autorités veulent éviter un effet de panique et s’épargner une polémique.

Contactée par Mediapart, la préfecture de police déclare « que le laboratoire central a fait des prélèvements en urgence qui ont été transmis en toute transparence à l’ARS, afin qu’elle prenne les dispositions nécessaires ».

De son côté, jointe par Mediapart, l’ARS n’a pas contesté, dans un premier temps, les propos tenus lors de la réunion du 3 mai. Elle a expliqué « ne pas percevoir le problème qu’ils soulèvent ». Mais avant la publication de cet article, l’ARS nous a rappelés et expliqué qu’en fait, elle ne souhaitait ni infirmer ni confirmer les propos tenus lors de la réunion.

L’agence explique avoir pris les précautions d’usage et avoir fait, à la demande de particuliers, des prélèvements qui ont, à ce jour, permis de découvrir un cas de saturnisme, sans que cela ne soit alarmant, selon l’agence.

Selon nos informations, les derniers prélèvements effectués le 13 juin sur le chantier ont cependant donné des résultats d’un même ordre de grandeur que les précédents tests.

Mais les associations, dont celle des familles victimes de saturnisme, ignorent tout de ces résultats. Leur demande auprès de l’ARS étant restée lettre morte, elles s’apprêtent, comme l’avaient imaginé les autorités, à saisir la Cada…

L’une des riveraines, mobilisée sur cette question, explique « avoir plusieurs fois demandé des précisions. Mais l’ARS ou la préfecture entretiennent un flou qui n’est pas rassurant pour les familles. S’il n’y a pas de danger, comme ils l’affirment, il suffit de transmettre l’ensemble des prélèvements. Or, nous les attendons encore ».

Sur le chantier, la direction régionale des affaires culturelles (Drac), maître d’ouvrage, opte elle aussi pour la politique de l’autruche. Et surtout, ne décrète aucune mesure pérenne pour protéger les salariés.

Le ministère de la culture s’affranchit des règles du code du travail

Les contrôles de sécurité effectués sur le chantier ont révélé que des ouvriers sur place n’avaient reçu aucune formation à cet effet. Alors qu’ils manipulent des gravats contaminés, certains agissent sans masque ni gants.

Les constats de l’inspection du travail ne s’arrêtent pas là. À plusieurs reprises, elle a relevé le non-respect des procédures réglementaires mais aussi de graves dysfonctionnements des sas de décontamination, dispositifs indispensables pour protéger les salariés du risque d’intoxication et éviter toute propagation de poussières à l’extérieur. Certaines douches de décontamination ne fonctionnent pas. Pire : certains sas de décontamination ont été installés au milieu d’une zone contaminée.

Au bout du compte, les salariés peuvent aller et venir dans la cathédrale sans passer par ces sas. À l’extérieur, sur le parvis pollué, où les taux de plomb peuvent être 500 fois supérieurs au seuil autorisé, certains ouvriers travaillent sans aucune protection.

Contacté par Mediapart, Bruno Courtois, expert en prévention du risque chimique et chargé du dossier « plomb » à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), explique que « ces taux sont particulièrement élevés et s’agissant de poussières de plomb consécutives à un incendie, on peut supposer qu’il s’agit de particules très fines qui passent donc facilement dans le sang. Les mesures de prévention et de protection doivent donc être renforcées pour confiner le plomb. Les sas de décontamination permettent dans ces cas primordiaux d’éviter que les ouvriers ne rentrent chez eux avec les poussières de plomb ». Pourtant, rien de tel n’a été mis en œuvre sur le site de la cathédrale.

Selon des sources proches du chantier, le ministère de la culture n’est pas mécontent que des ouvriers se promènent sans protection à l’extérieur de la cathédrale, n’éveillant ainsi aucune crainte parmi « les touristes ou les riverains ».

En fait, la mairie de Paris avait proposé de décontaminer le parvis de la cathédrale – un chantier de deux semaines estimé à 450 000 euros. Pour cette phase spécifique de décontamination, les ouvriers devaient porter des scaphandres. Sous le couvert de l’anonymat, un proche du dossier confirme : « Des hommes en scaphandre sur le parvis de la cathédrale auraient effrayé les passants. L’existence d’un danger aurait été évidente. »

Le ministère de la culture a donc préféré reprendre la main et a choisi de faire décontaminer la zone en quelques jours seulement, par des salariés peu protégés, et n’ayant pas revêtu les tenues d’usage. Cette précipitation a pour résultat que le parvis est aujourd’hui encore contaminé.

Sourd aux différentes relances des contrôleurs, le ministère de la culture s’affranchit allègrement des règles du code du travail.

Dès le 9 mai, l’inspection du travail a pourtant alerté la Drac, chargée des travaux sur le chantier, sur la nécessité de prévoir des mesures de protection contre les risques d’intoxication au plomb pour les salariés. Plus d’un mois plus tard, le 19 juin, le constat des ingénieurs de sécurité de la caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France (la Cramif), également chargée de contrôler le chantier, demeure accablant : « Les taux de concentration en plomb dans les poussières sont élevés et largement au-dessus du seuil réglementaire. Les salariés sont donc toujours exposés à des risques d’intoxication par le plomb […], les installations dédiées à la décontamination des salariés ne répondent pas aux dispositions du code du travail. »

Le cabinet du ministre de la culture Franck Riester assure auprès de Mediapart que « des mesures ont été prises », sans pouvoir préciser lesquelles et explique qu’une réunion avec la direction du travail s’est tenue le 27 juin pour que « tout se passe au mieux ». Mais cela n’a rien arrangé. Les procédures de décontamination demeurent très en deçà des exigences réglementaires.

Le ministère de la culture profite d’une situation qui lui est favorable. Le maître d’ouvrage relevant du droit public, l’inspection du travail ne peut ni le verbaliser ni le mettre en demeure.

Contactées par Mediapart, ni la Cramif ni la direction de l’inspection du travail n’ont accepté de répondre à nos questions.

La mairie de Paris affirme avoir fait une série de prélèvements dans les établissements scolaires situés dans les alentours de la cathédrale, dont les résultats, rendus publics, seraient conformes aux seuils autorisés. Quant aux mesures de l’espace public, « elles relèvent de la préfecture et de l’ARS. La mairie de Paris plaide pour une transparence mais, précise-t-elle, nous ne pouvons nous substituer à l’État ».

Les pressions exercées sur le chantier sont fortes. Comme nous l’explique l’un des intervenants, « à chaque fois que les risques d’intoxication au plomb sont abordés, on nous rappelle “l’urgence impérieuse de consolider l’édifice”. C’est comme cela qu’on écarte le danger du plomb ».

Une des personnes chargées du suivi des prélèvements déplore que « les instances de l’État se comportent comme lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986. C’est aussi absurde que le nuage qui n’a pas traversé les frontières. Le plomb est resté au-dessus de la cathédrale ».

Un salarié du ministère de la culture regrette que « toute communication sur le chantier [soit] contrôlée. On n’a pas accès à beaucoup d’information et ceux qui s’en occupent, le service des monuments historiques, sont connus pour être des taiseux contrairement aux archéologues qui se font entendre s’il y a un problème. Donc c’est la loi du silence ».

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Une « loi du silence » qui convient parfaitement au gouvernement et aux autorités sanitaires. Pourtant, les langues se délient et certaines entreprises contactées par Mediapart font part de leurs inquiétudes, ne souhaitant pas devenir des « boucs émissaires » en cas de scandale. « On tente déjà de nous faire porter la responsabilité de l’incendie. Il y a une pression énorme qui est mise sur tous les intervenants et le ministère de la culture n’assume même pas ses responsabilités en tant que maître d’ouvrage. Rien n’est fait pour préserver la sécurité et la santé des ouvriers. On nous demande de faire le travail que doit faire normalement le maître d’ouvrage », déplore l’un des chefs d’entreprise.

Le projet de loi pour Notre-Dame de Paris, en cours d’adoption, prévoit notamment la création d’un établissement public et des dérogations aux règles d’urbanisme et de protection de l’environnement. Sur le chantier, cette perspective inquiète de nombreux intervenants selon lesquels les dangers pour la santé et l’environnement risquent de s’accroître en toute opacité.

La plupart de nos interlocuteurs ont préféré garder l’anonymat, travaillant sur le chantier et craignant de perdre leur emploi.

Pascale Pascariello

Source : Médiapart

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