Nous avons lu avec intérêt l’article du 2 mars 2020, intitulé « Nouvelles technologies, les cordistes accrochent. », publié par Construction Cayola.
Il donne la parole de manière unilatérale à des entrepreneurs de travaux en hauteur. Oubliant au passage ceux qui tous les jours sur les chantiers font la richesse de ce métier. Et accessoirement celle de leurs employeurs. A savoir les ouvriers cordistes.
Pourtant le Groupe Cayola connaît l’existence de l’association. En novembre 2019, nous avons été contactés par une journaliste du groupe. Nous avions alors décliné l’invitation à un débat contradictoire filmé, arguant du peu de garantie d’objectivité dans le montage final.
La tonalité du présent article nous donne rétrospectivement raison.
On ne peut pas se présenter journaliste et s’affranchir des règles et de la déontologie du métier.
Nous passerons rapidement sur le parti-pris de mise en exergue des nouvelles technologies. Elles sont souvent prétexte à dissimuler les carences des entreprises.
Peu de cordistes verront leur activité bouleversée par l’avènement de tels gadgets, tant leur quotidien est fait de l’utilisation de techniques et d’équipements traditionnels. Voire rudimentaires.
En revanche, 3 points ont retenu notre attention.
D’abord, nous pensons que la « velléité de travailler de façon très autonome, avec un choix totalement libre de statut » évoquée est davantage due à la faiblesse des salaires proposés qu’à un « passé d’alpiniste » fantasmé. Invoquer ce supposé atavisme, pour justifier d’une précarité généralisée est un raccourci pour le moins audacieux. D’aucuns diront malhonnête.
Pour de pragmatiques raisons pécuniaires, nombre de cordistes s’imposent le statut d’intérimaire ou d’indépendant. Les uns et les autres au détriment de la sécurité de l’emploi, et s’exposant aux aléas du marché du travail.
La crise actuelle montre de façon criante la précarité que ces statuts engendrent.
Les intérimaires, dont la quasi totalité se voit offrir des contrats à la semaine, et les indépendants sont actuellement sans activité, et partant, sans ressources, ou avec des ressources considérablement réduites. Sauf à prendre des risques pour leur santé et celle de leur proche.
Comment s’organise pour eux la solidarité d’une « profession décidément pleine de ressources » ?
Nous dénonçons au passage la locution « corporation ancestrale » employée dans l’article.
Le métier de cordiste aligne péniblement une quarantaine d’années d’exercice. Ce qui en fait une profession très jeune. Immature selon certains.
D’où les problématiques nombreuses liées aux droit du travail, due à une absence de code APE propre, de conventions collectives nationales. Ainsi qu’une carence de la représentativité des travailleurs. Laissant le champ libre aux employeurs.
Ensuite, la question des EPI nous semble éludée de manière quelque peu cavalière.
Rares sont les fois où les employeurs proposent d’en fournir. Et si dans ces cas-là certains cordistes préfèrent malgré tout travailler avec leurs propres équipements, c’est que le matériel mis à leur disposition n’est pas toujours irréprochable. Et s’agissant d’EPI de classe 3, ceux prévenant les risques graves ou mortels, ils ne sauraient être blâmés pour leur préférence.
Par ailleurs, leur demande d’indemnité n’est pas infondée. Le code du travail est sans équivoque sur le sujet : Art. R. 4321-4 du Code du Travail « L’employeur met à la disposition des travailleurs, en tant que besoin, les équipements de protection individuelle appropriés »
De la même manière, concernant les intérimaires : Art. L. 1251-23 du Code du Travail « Les équipements de protection individuelle sont fournis par l’entreprise utilisatrice. Toutefois, certains équipements de protection individuelle personnalisés, définis par convention ou accord collectif de travail, peuvent être fournis par l’entreprise de travail temporaire. Les salariés temporaires ne doivent pas supporter la charge financière des équipements de protection individuelle. »
Il paraît important de souligner que la possession des EPI nécessaires aux travaux sur cordes est un préalable imposé aux travailleurs par certaines entreprises de travail temporaire.
État de fait connu de tous, et ce dès la formation. Ainsi, on voit même un nombre important d’organismes de formation devenir lucrativement des revendeurs d’EPI pour leurs jeunes stagiaires.
Enfin, nous rebondirons sur le point d’orgue de ce publi-reportage : « Seule la vingtaine d’entreprises membres du SFETH respecte la réglementation, lâche, lapidaire, Luc Boisnard, fondateur et PDG de Ouest Acro. Les autres s’affranchissent de la législation ».
La liste est longue des entreprises qui s’exonèrent du code du travail. Celles du SFETH n’échappent pas à l’inventaire. Des témoignages de cordistes nous l’affirment. Des rapports d’accidents du travail l’attestent. Au point que Jacques Bordignon, président de SFETH, interrogé sur le sujet nous écrit « nous avons environ une quarantaine d’adhérents et bien évidemment que nous ne sommes pas tous irréprochables ».
En outre, la formule lapidaire de Luc Boisnard met gravement en cause des dizaines d’entreprises de travaux en hauteur, vertueuses et respectueuses des réglementations en vigueur.
Au prétexte qu’elles ne sont pas adhérentes au SFETH, elles se voient couvertes d’opprobre.
Nous laissons à l’appréciation de leurs dirigeants la portée de telles paroles.
Là aussi, Jacques Bordignon est moins catégorique. : « Il existe aussi sûrement des entreprises non adhérentes qui respectent les règles. » Reste savoir quelle acception donner à l’adverbe « sûrement ». Probabilité ou certitude ?
« Les derniers chiffres attestent d’un chiffre d’affaires global multiplié par trois sur les dix dernières années. Une croissance importante, terrain fertile pour les abus des entreprises qui s’improvisent cordistes à peu de frais. »
Il est à noter que cette croissance assoie son fondement sur une entorse au Code du Travail, qui grave la prépondérance des EPC sur les EPI : Art. R. 4323-64 du Code du Travail « Il est interdit d’utiliser les techniques d’accès et de positionnement au moyen de cordes pour constituer un poste de travail.
Toutefois en cas d’impossibilité technique de recourir à un équipement assurant la protection collective des travailleurs ou lorsque l’évaluation du risque établit que l’installation ou la mise en œuvre d’un tel équipement est susceptible d’exposer des travailleurs à un risque supérieur à celui résultant de l’utilisation des techniques d’accès ou de positionnement au moyen de cordes; celles-ci peuvent être utilisées pour des travaux temporaires en hauteur. Après évaluation du risque, compte tenu de la durée de certains travaux et de la nécessité de les exécuter dans des conditions adaptées du point de vue ergonomique, un siège muni des accessoires appropriés est prévu. »
Quelles sont les entreprises aujourd’hui en mesure de présenter cette étude pour chacun de ses chantiers ? Adhérentes du SFETH ou pas.
Cette croissance est surtout un terrain fertile pour les accidents du travail.
N’ayant pas de code APE, la profession passe au travers des statistiques. Au grand bénéfice de certains.
En revanche, le nombre de cordistes qui ont laissé leur vie sur les chantiers n’est plus inconnu.
Depuis 2006, au moins 23 cordistes sont morts au travail.
Pour un contingent de 8500 travailleurs, le ratio est impressionnant.
Puissent les nouvelles technologies infléchir cette tendance funeste…
Vendredi 3 avril
Cordistes en colère, cordistes solidaires