PRESSE – Les conditions de travail chez JARNIAS passées au crible de Médiapart

Par Dan Israel
Paru le 8 juillet 2023 sur Médiapart

Notre-Dame, tour Eiffel… : le leader des travaux en hauteur accusé de négliger le sort de ses salariés

L’entreprise Jarnias est en passe de dominer la profession de cordiste en France. Elle intervient sur des chantiers emblématiques et ambitionne de participer « à la montée en professionnalisme » du métier. Mais les reproches de travailleurs se multiplient sur sa manière de les traiter.

Vu depuis le formulaire de déclaration, l’accident du travail qu’a subi le jeune homme de 29 ans, le 3 mai dernier, dans les environs de Concarneau (Finistère), est relativement banal. Il est tombé d’un toit, et les chutes sont l’une des principales causes d’accidents professionnels chaque année. Mais la profession de ce travailleur, la mission qui lui avait été confiée et la manière dont il a été traité par son employeur retiennent l’attention.

Le jeune homme est cordiste, cette profession du monde du BTP où l’on travaille encordé, suspendu le long d’un bâtiment ou d’une falaise. Il était employé par l’entreprise brestoise Alti City, rachetée voilà un an par le groupe Jarnias, qui se décrit volontiers comme le leader français des travaux en hauteur. Son patron, le suractif quadragénaire Xavier Rodriguez, ambitionne de la hisser au rang de numéro un européen. Après le rachat de quatre sociétés en 2022, Jarnias compte désormais 300 salarié·es et travaille avec un important volant d’intérimaires.

Un poids certain dans un paysage surtout composé de petites structures. Le groupe intervient sur certains des chantiers les plus emblématiques de l’Hexagone : il a participé pendant des mois à la sécurisation de Notre-Dame de Paris après son incendie et il coordonne la vingtième campagne de peinture de la tour Eiffel, chaque nuit dans la capitale.

De quoi susciter l’intérêt, par exemple du « 20 heures » de TF1, qui s’est penché l’an dernier sur ces « acrobates des villes et des champs ». Mais, comme l’illustre le cas du cordiste breton, les pratiques de l’entreprise vis-à-vis de ses employé·es commencent également à s’attirer des critiques de plus en plus nombreuses.

Car si le jeune homme a évité le pire lors de sa chute, ne mettant pas sa vie en danger malgré une double fracture du bassin, il a eu la désagréable surprise de recevoir, pendant son arrêt maladie de trois mois, un courrier le convoquant à un entretien préalable au licenciement. Une « faute grave » lui est reprochée, au motif qu’il n’a pas respecté les règles de sécurité.

Il était envoyé sur le toit d’une entreprise pour stériliser des œufs de goélands, à la demande de la mairie de Concarneau. Monté avec son échelle sur le toit en fibrociment, le cordiste n’avait pas repéré qu’une partie de la toiture cachait de la tôle, bien plus fragile. Il est passé à travers. Il n’était accroché nulle part, faute de point d’ancrage sur le bâtiment.

« Sommes-nous capables de dire au revoir à un collègue parce qu’il n’aurait pas respecté en toute conscience des règles de sécurité ? Oui. Parce que ce sujet est bien trop important pour souffrir la moindre légèreté. »
Jarnias

Interrogé sur les faits et la procédure, Jarnias a répondu devoir « respecter la confidentialité nécessaire au bon traitement de ce dossier » (lire l’intégralité de nos questions et des réponses de Jarnias dans les annexes de cet article).

Mais l’entreprise assume : « Nous ne transigeons jamais sur les questions liées à la sécurité sur les chantiers. Sommes-nous capables de dire au revoir à un collègue parce qu’il n’aurait pas respecté en toute conscience des règles de sécurité ? Oui. Parce que ce sujet est bien trop important pour souffrir la moindre légèreté. »

Dans cet accident, le défaut de vigilance du salarié est incontestable. Mais la question des responsabilités mérite aussi d’être posée. « Côté sécurité, ce chantier n’était pas carré : il n’y avait pas de procédure corde, pas de procédure de secours, pas de plan de prévention. Rien n’était prévu », estime un connaisseur du dossier.

Aucune visite de sécurité n’avait eu lieu avant le passage du cordiste, de trois ans d’expérience, qui travaillait ce jour-là en binôme avec un intérimaire. Tous deux étaient détenteurs d’un certificat de qualification professionnelle de niveau (CQP1), la qualification minimale pour entrer dans le métier, délivré après cinq semaines de formation.

Or, les règles de bonne conduite de la profession, officiellement entérinées en 2019 par le ministère du travail et le syndicat patronal France travaux sur cordes – dont Xavier Rodriguez est vice-président – sont claires : sur chaque chantier, « au moins un des travailleurs [doit disposer] des compétences pour conduire l’équipe ». Compétences attestées « notamment » par la certification CQP2, bien plus exigeante notamment en matière de sécurité, ou par la certification d’agent technique cordiste (CATC), encore plus difficile à obtenir.

La question de la sécurité n’est pas mince pour la profession, en pleine expansion mais qui vit au cœur du danger. Le 23 juin, un cordiste de 34 ans est mort en Isère, après avoir chuté d’une falaise. C’est le cinquième mort de la profession en douze mois. Cruel symbole : il travaillait pour la société Hydrokarst, dont le patron, Jacques Bordignon, est le président du syndicat professionnel. Le 26 octobre dernier, cette entreprise avait déjà compté un mort dans ses rangs, sur une falaise de Savoie.

L’association Cordistes en colère, cordistes solidaires porte depuis cinq ans les revendications des travailleurs et travailleuses du secteur. Elle calcule que si la France compte environ 15 000 cordistes, le chiffre tombe à un peu moins de 5 000 si on comptabilise les postes à temps plein. À cette aune, cinq morts en un an équivalent à un taux d’accident mortel près de trente fois supérieur à la moyenne nationale…

« Cette profession forme des débutants à tour de bras. Il n’y a pas assez de travailleurs qui montent en compétence pour devenir encadrants ou assurer la sécurité, constate Éric Louis. Je dis toujours qu’il faut deux ans pour faire un boulanger-pâtissier, et quelques semaines pour faire un cordiste. » Il rappelle que chaque année, environ 1 500 personnes décrochent la certification de premier niveau, mais que seules 200 personnes décrochent le CQP2.

« Aucune loi, aucune règle particulière ne s’applique aux cordistes, dont le travail n’est encadré que par des recommandations et des règles de bonne conduite. »

Un état des lieux qui vient s’ajouter au fait que le métier, administrativement et légalement, n’existe pas. Aucune loi spécifique ne s’applique aux cordistes, dont le travail n’est encadré que par des recommandations. « Le métier de cordiste est encore relativement jeune et fait l’objet d’un cadre réglementaire pas suffisamment strict et précis », confirme Jarnias, pour qui le « combat, en tant qu’acteur important sur ce secteur, est de participer au progrès, à l’évolution et à la montée en professionnalisme de cette branche ».

Cette déclaration d’intention n’empêche pas Éric Louis, cofondateur de l’association des Cordistes en colère (que Mediapart a déjà invité), de remarquer que « le nom de Jarnias revient souvent dans les appels que nous recevons de la part de travailleurs cordistes ». Mais il précise que la question de la sécurité n’est pas soulevée lors de ces appels.

« C’est bien que le leader des travaux sur cordes en France n’ait pas de problème de sécurité à se reprocher, alors que notre profession subit une hécatombe », convient le militant, qui précise aussitôt : « Le problème, chez Jarnias, est plutôt lié à des conflits avec la direction : apparemment, quand la parole des travailleurs se libère, ils peuvent se retrouver en difficulté. »

La liste des entorses aux relations normales de travail s’accumule en effet depuis plusieurs années. Interrogée sur chacun des cas qui suivent, l’entreprise n’a pas répondu en détail, mais souligne que presque aucun dossier « n’a fait l’objet d’une contestation ou poursuite devant quelque autorité », et que « seule une affaire en dix ans a fait l’objet d’un jugement aux prud’hommes ».

« Notre état d’esprit et culture RH est bien loin de ces quelques faits isolés qui vous ont été rapportés, insiste l’entreprise. […] Nous sommes soumis à des contraintes et des règles particulièrement strictes et exigeantes. »

Condamnation aux prud’hommes 

La « culture RH » pourrait néanmoins être interrogée dans le cas de ce salarié d’une des entreprises rachetées par Jarnias. Le 17 avril dernier, ce cordiste expérimenté et reconnu dans le milieu prévient sa direction qu’il va monter une liste CGT aux prochaines élections professionnelles. Le lendemain, il lui est signifié une mise à pied pour « faute grave ». Il est licencié dix jours plus tard, car il aurait mal protégé une corde sur un chantier et dénigré l’entreprise. Des motifs qu’il conteste formellement. Sollicité directement par le cordiste, le PDG Xavier Rodriguez n’est pas intervenu pour interrompre la procédure.

Un autre salarié a été viré en septembre 2022, parce que, selon l’entreprise, il avait frappé un collègue le mois précédent. Or, lors de sa procédure de licenciement, ce salarié a décrit une scène exactement inverse, affirmant que c’est lui-même qui avait été frappé ce jour-là. Plusieurs éléments appuient ses dires : il a porté plainte contre son collègue le jour de la bagarre et l’unité médico-judiciaire d’un hôpital francilien a établi son préjudice à trois jours d’interruption totale de travail (ITT). Il a tout de même été licencié, alors que son collègue n’a pas été sanctionné.

« Un mercredi, on me convoque pour me dire que mon contrat s’arrête le vendredi soir. Mais tant qu’ils avaient des cordistes sur place, ils ne pouvaient pas interrompre mon contrat. J’ai donc refusé. »
Antoine, cordiste à Notre-Dame

Selon nos informations, ce salarié n’a pas souhaité contester son licenciement en justice. Contrairement à Antoine*, qui a gagné aux prud’hommes en avril 2023, faisant condamner l’entreprise à lui payer environ 10 000 euros de rattrapage de salaire et d’indemnités, pour « licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Antoine avait été embauché en CDI de chantier en mars 2020 pour travailler à Notre-Dame. « Nous étions une trentaine de cordistes, moitié salariés, moitié en intérim, pour sécuriser et nettoyer le monument après l’incendie. Mais après six mois de travail, Jarnias avait besoin de moins de monde, raconte-t-il. Un mercredi, on me convoque pour me dire que mon contrat s’arrête le vendredi soir. Mais j’ai découvert que tant qu’ils avaient des cordistes sur place, ils ne pouvaient pas interrompre mon contrat. J’ai donc refusé. »

Antoine décrit ensuite plusieurs semaines de pressions et des convocations régulières auprès de plusieurs responsables, dont Xavier Rodriguez lui-même. « Le PDG m’a clairement dit qu’il me ferait partir d’une manière ou d’une autre, témoigne le cordiste. Je savais que j’étais sur la sellette et que je pouvais sauter à la moindre erreur. Et c’est finalement arrivé. »

Un jour, il lâche une injure à un responsable du chantier, qui lui avait reproché de travailler en s’appuyant trop sur les pierres de Notre-Dame, au risque de les endommager. Aussitôt, l’entreprise enclenche une procédure de sanction, le mettant à pied un mois sans salaire, puis le licenciant pour l’injure et pour des manquements aux procédures de sécurité.

Antoine reconnaît le premier point, pour lequel il s’est excusé, mais pas les autres. Aujourd’hui, il se dit satisfait de sa victoire aux prud’hommes. « Avec seulement un an d’ancienneté, je n’allais pas gagner grand-chose, mais j’y allais pour ma fierté. Et aussi parce qu’ils ont procédé de la même manière avec d’autres. Mais, dans cette profession, on accepte beaucoup de choses. D’autant plus face à une entreprise très présente dans notre petit milieu. Il y a la crainte d’être grillé partout si on les attaque. » Jarnias souligne de son côté que « la version du salarié n’a pas été démontrée dans le cadre du litige ».

Un chantier arrêté par l’inspection du travail 

Un dernier employé n’a pas sauté le pas des prud’hommes mais a néanmoins attesté devant la justice s’être fait licencier en octobre 2020 pour « faute grave », après quatre ans de CDI sans aucun avertissement, parce qu’il avait refusé de se rendre en deux heures sur un chantier situé à trois heures de route à l’allure normale.

Il assure que lors de l’entretien préalable au licenciement, Xavier Rodriguez lui a fait savoir qu’il avait désapprouvé un épisode précédent, où le salarié avait refusé de retourner sur un chantier où il estimait que sa sécurité n’était pas assurée, en raison de la présence d’amiante.

Les cordistes, souvent employés pour démonter des toitures ou participer à la démolition de bâtiments, ont l’habitude d’être confrontés à l’amiante, cette fibre hautement cancérigène mêlée pendant des années au ciment pour en renforcer l’isolation. Les travaux occasionnant un contact avec elle nécessitent des certifications précises.

Or, selon nos informations, en octobre 2022, l’inspection du travail a interrompu un chantier de démolition d’un cinéma du Finisterre où Alti City, la filiale brestoise du groupe Jarnias, devait intervenir comme sous-traitant. Selon nos informations, le chantier devait être réalisé alors que ni Jarnias ni son donneur d’ordres ne disposaient de la certification SS3, nécessaire au désamiantage. Informé de cette situation, le directeur général d’Alti City avait néanmoins donné son feu vert.

La version de Jarnias est différente : l’autre entreprise n’aurait définitivement « confirmé » ne pas être titulaire de la SS3 que le jour où le chantier devait démarrer, et où « l’inspection du travail a signifié [son] arrêt ». Alti City n’était pas encore intervenue quand il a été stoppé.

« C’est un vieux métier, mais il est en fait très jeune. Les professionnels ne le restent pas longtemps car les conditions sont assez mauvaises»
David, cordiste

Pour beaucoup de cordistes, Jarnias est considéré comme un employeur tremplin, surtout en début de carrière, avant de trouver un autre poste ou de bifurquer vers l’intérim, où travaillent les deux tiers des cordistes recensés par France travaux sur cordes. « C’est un métier pour ceux qui ont la bougeotte, beaucoup d’entre nous sont intérimaires. Je péterais un câble si je devais rester un an au même endroit », confie David*, resté quelques mois dans l’entreprise.

Passé par le centre de formation parisien de Jarnias (qui vient d’en ouvrir un second, à Valence dans la Drôme), il s’en dit ravi : « Nous sommes très bien formés en corde, et il y a des modules supplémentaires pour être formé sur les métiers du bâtiment. C’est exigeant, mais accessible si on s’accroche un peu. »

Son expérience concrète de la profession est moins positive : « C’est un vieux métier, mais il est en fait très jeune, constate-t-il. Les professionnels ne le restent pas longtemps car les conditions sont assez mauvaises. » Chez Jarnias, David dit avoir été payé 11 à 12 euros net de l’heure de chantier (le Smic horaire est aujourd’hui de 9,11 euros net). « C’est le même salaire que pour beaucoup de travaux du bâtiment, un tarif classique pour les ouvriers », précise-t-il.

Or, estime-t-il, « c’est extrêmement bas pour les risques qu’on prend et pour la pénibilité du métier. Tu commences au Smic ou quasi, et tu montes très doucement ensuite ». Ces tarifs nous ont été confirmés à plusieurs reprises, mais l’entreprise assure qu’ils sont « bien loin de la réalité ». Elle évalue à 16 euros le salaire horaire moyen sur une année, « hors extras, primes de nuit, de déplacement, et autres critères de compensation ». Si les salaires dans le métier dépassent parfois 3 500 euros mensuels, c’est en effet grâce aux primes, de déplacement notamment, qui peuvent représenter 50 % de la rémunération totale.

Plusieurs cordistes assurent pourtant que Jarnias propose des salaires plus bas que le marché. « Par rapport à d’autres, ils sont bons sur la sécurité. Mais tu sens qu’ils sont en train de faire passer la rentabilité avant la qualité et la sécurité, estime David. Les chargés d’affaires qui élaborent les devis ne chiffrent pas toujours très bien les choses, et la réalité du terrain ne correspond pas forcément à ce qui était prévu. Et toi, l’arbre des risques, tu le vis tout au bout de la chaîne. »

Valse des cadres

Les témoignages s’accordent aussi pour décrire une entreprise dirigée d’une main de fer par un chef supportant mal la contestation. Bon communicant, arrivé dans le métier comme simple cordiste au milieu des années 2000, Xavier Rodriguez a grimpé les échelons à grande vitesse et a pris en 2018 la suite du fondateur Jean-Paul Jarnias, ex-guide de haute montagne, qui a monté l’entreprise il y a tout juste 30 ans.

« En dehors du travail, Xavier Rodriguez est agréable, souvent jovial. Mais travailler avec lui est difficile, rapporte un ancien cadre. Excellent businessman, il a un coffre-fort à la place du cerveau. Il met les chargés d’affaires sous forte pression au nom de la rentabilité. Tout doit aller très vite. Et toute personne qui conteste ses choix est écartée. »

L’homme décrit une valse des cadres, y compris des dirigeants. En deux ans, selon ses décomptes, le responsable sécurité, le responsable planning, la responsable des ressources humaines, le responsable financier et le directeur d’exploitation ont été remplacés… Jarnias n’a pas commenté cette liste.

« De manière générale, il ne faut pas trop l’ouvrir, ne pas hausser le ton. Sinon, on est dans le viseur », considère un ancien. Encore plus quand on est syndicaliste ? C’est ce que semble suggérer le licenciement déjà évoqué du cordiste qui voulait monter une liste CGT.

« J’ai croisé le conducteur de travaux, qui m’a demandé si j’étais bien actif avec les Cordistes en colère. Dans la journée, j’ai reçu un SMS de l’agence d’intérim m’indiquant qu’ils n’avaient finalement pas besoin de moi. »
Fabien, cordiste

C’est aussi ce que juge Fabien, un intérimaire qui affirme avoir été écarté en novembre 2022 du chantier de peinture de la tour Eiffel, car il est membre revendiqué des Cordistes en colère.

Jarnias a repris ce chantier emblématique début 2022, après qu’il a été longuement interrompu par le Covid, puis par la découverte de teneurs en plomb inquiétantes dans les couches de peinture précédentes (lire les révélations de Mediapart en 2021). Le travail, essentiellement de nuit pour ne pas gêner les touristes, a recommencé dans des conditions de sécurité importantes, les cordistes portant par exemple des masques ventilés.

« J’avais déjà travaillé six mois sur la tour en 2020 quand une autre entreprise assurait le chantier. J’avais milité à l’époque pour améliorer les conditions, et quand Jarnias a repris le chantier, j’ai à nouveau tracté avec les Cordistes en colère pour informer les intérimaires de leurs droits », raconte Fabien.

Fin 2022, une entreprise d’intérim lui propose de retourner à la tour Eiffel. « J’ai accepté et j’ai démarré par une journée de formation sur la protection plomb, dit-il. Sur place, j’ai croisé le conducteur de travaux, qui m’a reconnu et m’a demandé si j’étais bien actif avec les Cordistes en colère. J’ai confirmé et j’ai commencé la formation. Mais dans la journée, j’ai reçu un SMS de l’agence d’intérim m’indiquant qu’ils n’avaient finalement pas besoin de moi. »

Son contact lui explique alors qu’il y a eu incompréhension et que Jarnias cherche en fait à réduire le nombre d’intérimaires travaillant sur ce chantier. Une version toujours vigoureusement défendue par Jarnias aujourd’hui et jugée crédible par plusieurs de ses anciens salariés.

Une autre version circule cependant parmi certains ex-cadres : le conducteur de travaux aurait consulté Xavier Rodriguez juste après avoir croisé Fabien le jour fatidique. Et son cas aurait été évoqué dans les jours qui ont suivi en « réunion de production », rassemblant les responsables de l’entreprise (mais en l’absence du PDG) pour se mettre d’accord sur une position commune.

Par ailleurs, selon nos informations, cinq intérimaires ont travaillé pour Jarnias sur la tour Eiffel en novembre 2022, quand Fabien a été écarté. Et deux d’entre eux ont poursuivi le mois suivant. Fabien n’en démord donc pas. Tout de suite après l’incident, il a écrit plusieurs fois au conducteur de travaux, pour lui demander de s’expliquer et lui dire qu’il n’en resterait peut-être pas là.

La réponse de Jarnias ne s’est pas fait attendre. Un courrier officiel a sommé le travailleur d’arrêter ses « menaces ». « Nous vous demandons de cesser immédiatement votre comportement et de présenter vos excuses écrites sur-le-champ à la société Jarnias et [au conducteur de travaux] », intimait la lettre, lui promettant des poursuites s’il ne s’exécutait pas.

« Il se passe chez Jarnias la même chose que dans les autres grandes boîtes de cordes, comme Ouest Acro, CAN, Hydrokarst… : une croissance financière rapide, dans un métier où les perspectives de développement sont énormes, commente Éric Louis, des Cordistes en colère. Mais aujourd’hui, une bande de prolos demandent que leurs droits soient respectés, et ces entreprises ont du mal à le comprendre. »

Dan Israel
Médiapart, le 8 juillet 2023


Boîte noire

* Les prénoms signalés par un astérisque ont été modifiés à la demande des intéressés.

Le collectif Cordistes en colère, cordistes solidaires s’est créé après l’accident de 2017 qui a coûté la vie à Quentin Zaraoui-Bruat, enseveli à 21 ans sous les céréales dans un silo du géant du sucre Cristal Union dans la Marne. L’événement et la dureté du métier sont racontés dans une excellente interview accordée au site Ballast par Grégory Molina, autre cheville ouvrière de l’association.

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