Ces délais sont clairement indécents, abusifs, beaucoup trop généralisés et banalisés pour les victimes d’accidents du travail. Alors on lâche rien, c’est dur c’est sûr, mais ce système ne nous aura pas, même à l’usure ! » nous confiera Adrien à quelques semaines de ce nouveau procès avec l’espoir de pouvoir fêter la Justice et non l’INjustice dans les futures affaires à comparaître.
TÉMOIGNAGE D’ADRIEN
Le 14 septembre 2015, Adrien Santoluca intérimaire pour l’entreprise de travaux en hauteur Sud Acrobatic basée à Gigean (34) était chargé, depuis deux mois, de l’entretien d’un pignon et de plaques de fibrociment amiantée sur le toit d’un hangar appartenant au Port de Sète Sud de France, loué par l’entreprise de manutention portuaire Sea Invest Sète. Intérimaire, Adrien travaillait depuis moins d’un an pour Sud Acrobatic, une entreprise occitane de travaux en hauteur. Lors des longs moments passés avec lui à décortiquer son dossier, Adrien a raconté aux membres de notre association comment ce chantier a failli lui coûter la vie. Plus juste et percutant que des paroles rapportées, nous reproduisons ci-dessous ses propres mots :
« La nuit du dimanche au lundi, j’étais envoyé par Sud Acrobatic purger le four d’un incinérateur de déchets à Sète, avec un collègue auto-entrepreneur. Quatre heures passées à décoller les résidus formés par les déchets le long des parois sous une chaleur suffocante, 60 °C, peut-être 80 °C. On a fini la purge dans la nuit et le lendemain, lundi, on reprenait à 13 heures au port de commerce de Sète, encore explosés de la nuit passée…« Mon collègue et moi, intérimaire, y travaillions depuis deux mois, à raison d’une semaine sur deux. La mission consistait à restaurer un pignon en béton armé qui partait en morceaux et à changer des plaques de fibrociment amiantées sur le toit d’un hangar du port. Mais il n’y avait pas la moindre possibilité de s’encorder. L’emploi de cordistes n’était pas du tout justifié…
La pose de filets est plus chère que tout mon devis « Il y aurait eu largement la place pour installer des équipements de protection collectif (EPC), tel qu’un échafaudage tout le long du pignon. Mais rien que poser des filets anti-chute, comme je lui avais proposé, le patron ne voulait pas en entendre parler, parce que ça l’aurait obligé à revoir le devis à la hausse et qu’il craignait que le client refuse de passer par sa boîte. Même aux inspecteurs du travail, il avouera : » Pour quatre plaques à changer et une inspection, la pose de filet est plus chère que tout mon devis « . (Phrase citée dans le jugement du TGI de Montpellier rendu en janvier 2019.)
« Pendant que les ouvriers du port bossaient sous nos pieds, on évacuait des énormes sacs de gravats quelques mètres plus haut… On portait ces sacs sur les toitures des hangars, sans la moindre corde donc, sans main courante non plus, sans ligne de vie, sans rien pour nous retenir en cas de chute… Quand tu en es à ce niveau d’inorganisation, à la limite, que tu prévoies un chantier sur cordes ou un chantier sur échafaudage, c’est pareil. À partir du moment où le plan de prévention est un copié-collé du précédent chantier, l’accident n’est pas loin. D’autant plus qu’on travaillait sur un endroit particulièrement endommagé du toit – qui avait été heurté quinze ans plus tôt par un chargeur sur pneus – de l’un des hangars les plus vétustes du port…
L’accident d’Adrien Santoluca sur le port de commerce de Sète est survenu sur le toit du hangar marron (en bas, à droite sur cette capture d’écran d’une vidéo promotionnelle)
Je sens la toiture qui craque… « Ce 14 septembre 2015, on était censé travailler trois heures et le chantier était définitivement terminé. Une fois les gravats débarrassés, il y avait encore une toute dernière tâche à effectuer : réparer des plaques de fibrociment amiantées qui étaient fendues. Le patron voulait qu’on fabrique une résine d’étanchéité nous-mêmes et qu’on la fasse couler sur les fissures, et ça tiendra le temps que ça tiendra .. Pour bien faire, ces plaques auraient dû être remplacées, et non simplement badigeonnées avec un produit chimique fait maison. C’était du bricolage ! Et j’étais fatigué de la veille. Je pars donc boucher ces fissures avec mon sceau de résine. Un sceau qui devait peser trois kilos à peine, alors que, sur cette même toiture, cela faisait deux mois que je portais des dizaines de sacs de gravats d’au moins 30 kilos… « Je me retrouve au milieu de la toiture, à l’endroit que j’étais censé réparer. C’est la première fois que j’y mets les pieds, et je sens que ça ne va pas du tout. Je sens la toiture qui craque… Je me baisse doucement, tout doucement. Je pose mon sceau pour m’alléger au maximum. Et c’est en me relevant, tout doucement toujours, que la toiture cède sous mon poids. Je passe à travers.
Pronostic vital engagé « Je m’écrase dix mètres plus bas, peut-être un peu moins, sur une dalle en béton. Je ne savais pas que le corps humain pouvait encaisser des douleurs pareilles… Tout le long de la chute, je reste conscient. Quand j’atteris au sol sur le flanc droit du dos, les douleurs sont si intenses, que je me sens partir…
« Les secours me transportent en hélicoptère au Département d’anesthésie et de réanimation du CHU de Montpellier. Mon pronostic vital est alors engagé. Les pompiers m’injectent de la morphine, de la kétamine… J’ai des contusions pulmonaires, j’ai le bassin en miettes, avec tout un tas de sections nerveuses touchées… À ce moment-là, personne n’aurait imaginé que je remarcherais un jour. Après des mois d’hôpital et de rééducation. Et après des mois de souffrance…
Ce n’est pas une exception « C’est un miracle que je m’en sois sorti vivant, ça aurait dû servir de prise de conscience à l’entreprise. Mais trois ans plus tard, Mickaël Beccavin fait une chute mortelle. Il n’était accroché qu’à une seule corde, trop courte et sans nœud d’arrêt à son bout. Ce manque total d’organisation, ces mauvaises habitudes insufflées par l’entreprise, ce n’est pas une exception à Sud Acrobatic. On les retrouve malheureusement dans beaucoup de boîtes de cordes. À tel point qu’un cordiste qui refuserait totalement de les accepter ne pourrait quasiment plus travailler.
« C’est un système qu’il faut combattre. On est pris à la gorge par la précarité. Chez les cordistes comme ailleurs. Tu peux nous donner la meilleure des formations, tant qu’on n’aura pas les moyens de dire non quand on ne se sent pas en sécurité, des femmes et des hommes continueront d’accepter des chantiers au péril de leur vie. »
RETOUR SUR L’AFFAIRE SUD ACROBATIC
Des « raisons économiques » au détriment de la sécurité En janvier 2019, l’entreprise de travaux en hauteur Sud Acrobatic et son gérant Sébastien Gimard étaient donc condamnés pour leurs responsabilités dans l’accident d’Adrien. Ils étaient condamnés pour les chefs de « blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail » et pour avoir eu recours à un intérimaire « malgré l’interdiction » , étant donné que les « travaux exposa [ient] le travailleur à l’amiante ».
Le tribunal correctionnel de Montpellier prononçait à leur encontre des peines de 3 000 et 8 000 euros d’amende, ainsi que huit mois d’emprisonnement avec sursis pour le gérant.
Selon le tribunal, Sébastien Gimard « n’a pas pris en considération les risques importants qu’il faisait courir à ses salariés au nom de la rentabilité », lit-on encore dans le jugement. « Au détriment de [l’aspect] de la sécurité » , le chef d’entreprise « choisi le travail sur cordes pour ce chantier pour des raisons économiques » , alors qu’il « était parfaitement conscient que les protections collectives devaient être mises en œuvre de préférence aux équipements de protection individuelle ».
Sébastien Gimard et Sud Acrobatic faisaient immédiatement appel de leurs condamnations.
Un jugement d’autant plus tranchant que le tribunal rappelait également ne pouvoir « que relever que [le 6 mars 2018], un salarié de la Sarl Sud Acrobatic était à nouveau victime d’un accident malheureusement mortel » . Cordiste depuis 13 ans, Mickaël Beccavin avait perdu la vie, moins de trois ans plus tard, suite à une chute de 15 mètres dans des circonstances troubles que questionn ait l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires .
Dans le cadre de ce deuxième accident, un jugement était prononcé le 4 juin 2021 par le tribunal correctionnel de Nîmes. Au travers de ce dernier, la société Sud Acrobatic était de nouveau condamnée. Cette fois-ci à 4000€ d’amende.
Contactée par le journal en ligne Blast , la société Sud Acrobatic avait fait savoir, par le biais de son avocat, qu’elle « n’entend pas s’exprimer publiquement » sur les accidents de Mickaël Beccavin et d’Adrien Santoluca, « pour lesquels sa responsabilité pénale est fermement contestée ».
R ASSEMBLEMENT DE SOUTIEN
Lundi 6 janvier 2025, près de 10 ans après l’accident, la Cour d’appel de Montpellier ré-ouvrira enfin ce dossier. Sud Acrobatic et son gérant y seront entendus sur leurs arguments avancés pour contester leurs condamnations.
Dès 13h, un rassemblement de soutien à Adrien se tiendra devant la Cour d’Appel.Pour ne pas le laisser seul face à cette énième étape d’un parcours judiciaire interminable. Pour ne pas le laisser seul face une entreprise et un patron qui de nouveau vont user de tous les arguments pour faire porter la faute du drame sur la victime. Et plus largement, pour dire avec force que combien il n’est plus acceptable de voir ce type de désorganisation et de telles conditions de travail sur les chantiers. Pour ne plus craindre de perdre sa vie en tentant de la gagner.
Rassemblement de soutien LUNDI 6 JANVIER 2025 dès 12h30 devant la Cour d’appel de Montpellier (1 rue Foch)
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