7 MARS – GRASSE : Procès de l’accident mortel de Régis, la CAN devant le tribunal correctionnel

Vendredi 7 mars 2025, l’entreprise CAN sera jugée pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Grasse (06). Régis, travaillait comme cordiste pour cette entreprise spécialisée dans les travaux sur cordes en milieux naturels.
Fin août 2018 il est envoyé sur un chantier des Alpes-Maritimes pour fragmenter un rocher de plus d’une tonne obstruant un sentier. Pour faire péter l’imposant obstacle, l’employeur le charge d’utiliser des cartouches pyrotechniques de catégorie P2. Régis, comme tous ses collègues à la CAN, ne dispose pas des formations adéquates. Régis n’a même aucune formation pour cela. Heurté à la tête par un impact de roche au moment de l’explosion, il meurt sur le coup.

Six longues années après, la justice se penchera enfin sur les responsabilités ayant conduit à ce terrible accident.
Aux côtés des proches de Régis, l’association Cordistes en colère cordistes solidaires sera partie civile et appelle à un rassemblement de soutien dès 7h30 devant le tribunal.

Pour comprendre, il faut notamment remonter au 27 août 2018

Ce lundi 27 août 2018, Régis Brugière rentre de vacances. Il est affecté à un chantier dans les Alpes Maritimes. Sur la commune de Biot. Un bloc rocheux d’environ 1,5 m3 est posé en travers du chemin de la Brague. Plus qu’un sentier de promenade, ce chemin mène à un poste DFCI, la Défense des forêts contre l’incendie. Placé tel qu’il est, le bloc est une entrave de taille à l’accès au poste.

Régis est là pour le fragmenter, afin de pouvoir dégager le sentier. Son employeur, la CAN, prend régulièrement ce genre de commande. En l’occurrence, c’est le Conseil départemental qui l’a mandatée. D’ailleurs, un représentant de cette instance est sur les lieux. Il doit encore se dire aujourd’hui que ça n’a pas été la meilleure idée de sa vie.

Régis est cordiste. Il a 38 ans et la vie de devant lui. Il a deux enfants, Maddy, 5 ans, et Léo, 20 mois. Avec Émilie, son épouse, ils vont signer le vendredi même le compromis de vente de leur maison. Afin de donner aux enfants un cadre de vie favorable. Quelques travaux en perspective à ajouter à ses activités professionnelles. Peu importe, Régis ne manque pas de courage. Et puis c’est pour le bonheur d’Émilie et des enfants, alors…

Régis est cordiste, mais en ce lundi 27 août, il n’est pas question de cordes, de baudrier, de descendeur. Le boulot va se dérouler sur le plancher des vaches. À hauteur de pâquerette.

À priori loin des dangers inhérents aux travaux en hauteur, qui engendrent leur lot de victimes chaque année.

La mission de Régis est tout autre, ce jour. Il est chargé par son employeur de fragmenter le bloc rocheux. Comment ? À l’aide de cartouches pyrotechniques de catégorie P2. En l’occurrence il s’agit de Mulvex. Un produit déflagrant selon les uns, détonant selon les autres. Explosif, dans tous les cas.

Une chose est sûre, Régis n’est titulaire d’aucune habilitation pour manipuler et mettre à feu ce type de produit. Plus étonnant, son chef non-plus. Celui-ci possède tout juste un CPT, certificat de préposé au tir, propre aux explosifs classiques et qui ne lui donne aucune autorisation pour cette catégorie de cartouches.

Petit détail, l’exploseur et sa ligne de tir ont été oubliés à l’atelier. C’est avec une pile 9V achetée au supermarché que les hommes mettent en place le dispositif. Puis le chef quitte le chantier, ayant d’autres travaux à superviser ailleurs.

C’est seul que Régis procède à la mise à feu. Entouré à distance de ses collègues, et du technicien du Conseil départemental. Mais sans ligne de déclenchement adéquate, il est bien trop près du rocher. Lors de la déflagration, une pierre l’atteint à la tête. Mettant un terme à son existence.

Sans formation, ni même une sensibilisation, comment Régis peut-il mesurer la dangerosité réelle de ces cartouches ? Comment peut-il s’imaginer le drame qui le guette ?

Pourtant, c’est bien au regard de cette dangerosité que depuis 2015, les utilisateurs de ce types de produits sont soumis à formation spécifique et obligatoire (art. R.557-6-13 du Code de l’environnement). Plus largement, le Code du travail impose, en plus et depuis 1987, la détention d’un CPT (Certificat de préposé au tir) pour tous types d’explosifs.

En 2016 et face à la recrudescence d’accidents impliquant des cartouches pyrotechniques P2, le ministère de l’environnement adresse une alerte à l’ensemble des fédérations professionnelles dont le FNTP (fédération nationale des travaux publics) à laquelle la CAN est adhérente de longue date.

Cette alerte est ensuite largement relayée, notamment par la Chambre des métiers et de l’artisanat de la région Rhône-alpes, où se situe le siège de la CAN.

Rien n’y fait, à la CAN, mois après mois, plusieurs salariés dont Régis continuent de faire exploser ces cartouches sans formation et sans la moindre information sur ces alertes répétées. Pensant manipuler de simples « gros pétards ».

VIDÉO PROMOTIONNELLE des cartouches MULVEX.
Six ans après, la CAN continue de maintenir qu’il ne s’agissait pas d’un explosif et qu’aucune formation n’était requise. MULVEX pas un explosif? Est-il nécessaire d’être expert artificier pour répondre à la question ?

Mais est-il possible de comprendre la position de la CAN ?

Plus de six ans après, le drame apparaît toujours dans sa tristesse infinie. Deux orphelins. Une compagne dévastée. Une mère anéantie.

Et une entreprise qui ne fait pas face à ses responsabilités. La CAN, dès l’accident, n’aura de cesse de faire porter la faute sur ses employés. Sur Régis, tout d’abord. Les dirigeants arguent que Régis aurait volontairement utilisé le Mulvex, bien que n’étant titulaire d’aucune habilitation. Et de manière contradictoire, affirment que le Mulvex n’est pas un explosif. Que c’est juste « un gros pétard ». Par conséquent, ils ne sont pas en faute lorsqu’ils amènent leurs salariés sans habilitation à manipuler ces articles pyrotechniques.

Puis sur son chef, cordiste lui aussi, mais en formation interne pour devenir conducteur de travaux. Selon la CAN, ce chef n’aurait pas dû laisser Régis procéder au déroctage. Il sera d’ailleurs licencié pour faute grave. Servant ainsi de fusible. Seulement, les Prud’hommes le blanchiront de toute faute justifiant son licenciement. Renvoyant alors la CAN à ses responsabilités pénales.

L’entreprise avait déjà brillé en n’assumant pas ses responsabilités morales. Les dirigeants, à la suite de l’accident, ont imposé un mur de silence entre les salariés et les membres de la famille de Régis. Ceux-ci sont allés récupérer son véhicule et ses effets personnels sur un parking de supermarché mitoyen du siège de la CAN dans un silence glacial.

Plus tard, en 2021, lorsqu’ils ont voulu poser des questions légitimes aux dirigeants, ils se sont heurtés à un service de vigiles, et une porte fermée à clef.

En 2022, Martine, la maman de Régis, est venue s’exprimer à la table ronde des championnats de France cordiste, qui réunit tout le gratin du métier. Aucun cadre de la CAN ne s’est manifesté à elle.

Pendant ce temps, la justice avec son inexorable lenteur a fait son travail. Dans le secret de ses méandres. Martine aura eu beau solliciter le procureur, aucun élément ne lui aura été fourni sur l’avancement du dossier. La famille a dû se raccrocher pendant ces 6 dernières années à des espoirs sans fondement. A une confiance très hypothétique de la justice.

Six années faites aussi de doutes. Et plus encore de chagrin et de douleur. L’an dernier, Wilfried, le frère ainé de Régis était emporté par la maladie.

Lui qui avait lutté pour l’avènement de la vérité n’assistera pas à l’audience du procès de la mort de Régis, enfin fixée au vendredi 7 mars 2025, au Tribunal judiciaire de Grasse.

Martine, Émilie et Laurent, le frère cadet de Régis, y seront parties civiles.
L’association Cordistes en colère, cordistes solidaires sera aussi représentée pour faire valoir l’intérêt collectif des travailleuses et travailleurs cordistes.

 

En hommage à Régis,
Pour nous montrer solidaires avec ses proches et ses amis.
Pour exprimer à quel point ce type de pratiques doivent cesser.


DOCUMENTAIRE VIDÉO

« RÉGIS, MORT AU TRAVAIL : La situation dramatique des cordistes« 
Documentaire vidéo de 20 min. diffusé par Blast en 2021
Réalisé par France Timmerman et Franck Dépretz

À lire aussi

PRESSE : Après plusieurs enquêtes sur les nombreux accidents de travail endeuillant année après annèe la profession des cordistes, le journaliste Franck Dépretz s’est penché en 2021 sur les circonstances du drame ayant coûté la vie à Régis. 

Une longue enquêt du journaliste d’investigation Dranck DÉPRETZ
À LIRE SUR BLAST

FICHE RÉGLEMENTATION
Cartouches pyrotechniques P2

Y sont rappelé les principales obligations réglementaires, les sanctions encourus et des conseils en cas de doute sur la conformité d’un matériel ou d’une formation. La fiche ci-contre a été relue par l’INERIS et les centres de formation agréés.

CARTOUCHES  P2 : Rappel des ministère du travail et de la défense 
Publication du ministère du Travail reprise par le ministère de la Défense au sujet des formations obligatoires pour l’utilisation des articles pyrotechniques de catégorie P2 :

  • Certificat de Préposé au Tir (CPT)
  • ET formation spécifique aux P2 dans un centre agréé 

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