PRESSE – L’HUMANITÉ : À 220 mètres de haut, on ne joue pas avec la vie de ses salariés

Paru le 29 octobre 2023 dans L’Humanité

BÂTIMENT : L’entreprise Cabestan est dans le viseur de l’association Cordistes en colère cordistes solidaires, pour mauvaises conditions de travail et absence de paiements de ses intérimaires. Plusieurs cordistes témoignent.

Manque d’équipement, absence d’accès à l’eau, fin de mission précoce, erreurs importantes sur les fiches de paye… L’entreprise Cabestan récolte depuis plusieurs années la méfiance des cordistes intérimaires ayant travaillé pour elle, sur de nombreux projets.
« Ça fait des années que nous avons des remontées de salariés sur Cabestan. Cette société est connue comme le loup blanc. Les cordistes avec de l’expérience savent qu’il y a des problèmes de sécurité, que ceux qui travaillent pour eux sont méprisés », explique Grégory Molina, de l’association Cordistes en colère cordistes solidaires, suite à la publication de deux articles sur son site, concernant l’entreprise. Des problèmes de sécurité ont été largement notifiés par les intérimaires de Cabestan. Trois cordistes ayant travaillé sur le nettoyage de vitres de la tour Hekla en mai dernier pour le compte de l’entreprise ont décidé de témoigner auprès de l’Humanité.

Privés de matériel de sécurité

Ekaterina et Thibaud font état de manque de matériel de sécurité, pourtant indispensable pour travailler à 220 mètres de hauteur. « Les équipements de protection individuelle (EPI) doivent être fournis obligatoirement par l’agence ou la société utilisatrice », comme mentionné dans l’article L1251-43 du Code du travail, explique Ekaterina.
Pourtant, l’équipement a été fourni par un sous-traitant embauché par Cabestan sur ce projet. « On m’a donné un kit qui n’était pas complet. Il manquait le système d’arrêt des chutes, c’est primordial aujourd’hui. On n’a pas le droit de travailler sans. Le sous-traitant nous a prêté beaucoup de choses, mais normalement le kit doit être complet », assure Thibaud.
Le sous-traitant en question n’est pas resté jusqu’à la fin de la mission, pour cause de désaccords avec l’entreprise. Lorsqu’il a quitté, début mai, le chantier, il a emporté avec lui le matériel qu’il avait prêté aux six cordistes intérimaires dont faisaient partie Thibaud et Ekaterina. L’équipe s’est retrouvée sans le matériel nécessaire à sa sécurité, et a fait valoir son droit de retrait.
« En guise de réponse, la mission des intérimaires a été stoppée », informe l’inspection du travail dans une lettre recommandée à l’entreprise, que nous nous sommes procurée, citant l’article L. 4131-1 du Code du travail, qui précise que si un salarié craint pour sa santé ou sa vie, il peut faire valoir son droit de retrait.
Les intérimaires ont donc attendu une journée durant l’apport de matériel de la part de Cabestan, afin de continuer leur mission. « Nous sommes restés à disposition de l’entreprise », précise Ekaterina, pour qui travailler sur cette tour à 220 mètres de hauteur était une belle opportunité.

Jusqu’à 60°C en plein soleil

Ekaterina, Thibaud et leurs collègues ne sont pas les seuls à avoir subi les conséquences de ce manque de matériel. Un cordiste souhaitant rester anonyme est allé sur une mission de Cabestan en Guyane. Cet homme s’est retrouvé, souvent seul, sur un toit où les températures pouvaient monter jusqu’à 60°C en plein soleil. Lors d’une location de Kärsher pour effectuer son travail, ce cordiste passe commande de trois paires de gants pour ses deux collègues et lui. La direction de Cabestan refuse. Pourtant, l’homme en a besoin.
« Pour cette commande, je me suis fait sermonner par le boss qui voulait savoir pourquoi », déplore le cordiste, aujourd’hui en arrêt maladie, tant ses conditions de travail ont affecté sa santé mentale. Au-delà des problèmes de matériel qu’il a relatés, il évoque également la privation d’eau fraîche à disposition de l’équipe. Mais aussi l’absence de ses deux collègues, parfois mobilisés sur d’autres chantiers de Cabestan, mettant en danger sa propre sécurité. Si Ekaterina et Thibaud, ont fait valoir leur droit de retrait, ce cordiste ne l’a pas fait.
Au bout de dix jours, il n’en pouvait plus et a rompu son contrat. Il est rentré en Métropole le lendemain.

« Je suis arrivé le lundi matin, ils m’ont dit que si je n’avais de harnais, ce n’était pas la peine de revenir. »

Jérémy, cordiste intérimaire chez Cabestan

Cordiste depuis treize ans, Jérémy a effectué quatre missions d’intérim auprès de Cabestan. Les problèmes de matériel, « c’était tout le temps avec eux ». En janvier 2022, il réalise sa dernière mission et Cabestan ne souhaite pas fournir d’EPI. « Je suis arrivé le lundi matin, ils m’ont dit que si je n’avais de harnais, ce n’était pas la peine de revenir. Le lendemain je suis revenu, sans matériel, ils m’ont dit : fin de mission ce soir. »
Jérémy avait aussi fait valoir son droit de retrait pour un chantier dans les Vosges.
Selon lui, il n’y avait aucun matériel ni protocole de sécurité : « Je me suis renseigné auprès des pompiers en cas d’accident. Les délais d’intervention m’ont fait peur, donc je suis parti », poursuit‑il, heureux d’avoir trouvé une entreprise avec laquelle tout se passe bien. Il explique que le directeur commercial de Cabestan lui aurait dit que, pour l’entreprise, fournir les EPI « c’était la théorie, pas la pratique ».

La cerise sur le gâteau, pour la majorité de ces cordistes, ce sont les absences de paiement. Sur la tour Hekla, Ekaterina et Thibaud ont reçu à la fin de leur mission, avortée, une fiche de paie comptant trois heures travaillées, entre le 2 et le 10 mai dernier. Après de nombreuses relances, Ekaterina a reçu à la mi-septembre une nouvelle fiche de paye, cette fois-ci complète. Thibaud, lui, n’a toujours pas de nouvelles de son salaire. Son entreprise d’intérim fait la sourde oreille, au prétexte que Cabestan n’aurait pas payé la totalité de ses heures. Le cordiste missionné en Guyane n’a toujours aucune nouvelle du paiement qu’il recevra. L’association Cordistes en colère, cordistes solidaires s’apprête à lancer des procédures aux prud’hommes.

Contactée, la direction de Cabestan n’a pas répondu aux sollicitations de l’Humanité.

Alice Terrier

Source : L’Humanité

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