Des cordistes revendiquent plus de sécurité à la DGT- Bilan d’étape + tournée de recueil des doléances

Depuis bientôt un an, l’association Cordistes en colère, cordistes solidaires et le syndicat Solidarité Cordistes participent à des travaux en lien avec la direction générale du Travail (DGT). De nombreuses revendications y sont portées pour tenter d’enrayer l’hécatombe qui, année après année, continue de frapper les ouvrières et ouvriers cordistes.
Après une première série de réunions et l’amorce de certains travaux, il nous semblait important d’en rendre compte.

Un groupe de travail DGT « Travaux sur cordes »

Inscrits dans le cadre du 4e plan santé au travail du gouvernement, ces travaux sont prévus pour durer au moins jusqu’en 2025. Piloté par la DGT, un groupe de travail spécifique aux travaux sur cordes a donc commencé à se réunir depuis le printemps dernier. Au rythme d’environ une réunion tous les trois mois, une vingtaine d’organismes s’y retrouvent : l’association et le syndicat Solidarité Cordistes, pour le côté salarial ; France Travaux sur Cordes (FTC), French Rope et un groupe d’agences d’intérim, pour le côté patronal de la profession ; Irata, FTC et le Greta, pour la définition des référentiels de formation ; mais aussi des organismes préventeurs (Cnam, INRS, OPPBTP, MSA) et certaines fédérations patronales (FFB, FNTP, Capeb, UMGCCP).

Dès la première réunion du groupe de travail, en décembre 2022, à laquelle l’association était invitée, nous posions les bases de nos revendications.
Quinze points détaillés, suggérés en réponse aux nombreuses problématiques que nous rencontrons dans le métier. Parmi ces quinze points, seuls deux ne seront pas traités dans le cadre du groupe de travail DGT, car dépassant la question spécifique des travaux sur cordes (manque de moyens pour l’inspection du travail, condamnations en cas d’accident insuffisamment dissuasives). Les treize autres points ont été retenus et constituent aujourd’hui, avec quelques autres propositions, la trame principale du groupe de travail.

Nos 15 points de revendication, leur état d’avancement, et les autres sujets traités.

Dossier complet de nos demandes présentées dès la 1ère réunion en décembre 2022.

Idées générales spécifiques à la lutte contre les risques liés aux éboulements rocheux.

Toute la partie réglementaire, concernant les demandes d’évolutions législatives, n’a pas encore commencé et ne sera traitée qu’à partir de 2024.
Plusieurs autres travaux ont débuté et se regroupent en diverses catégories.

Données d’accidentologie

Une étude statistique va être menée sur la base des déclarations d’accident de travail d’un échantillon d’entreprises identifiées comme ayant une activité dans les travaux sur cordes.
Après un nombre incalculable d’heures de travail, l’association a fourni début septembre une liste de 1 843 numéros de Siret ainsi identifiés. Un travail de mise en commun de ces données avec celles dont dispose FTC est actuellement en cours. Cette liste commune sera transmise à la Sécurité sociale (Cnam), qui se chargera ensuite d’analyser les données d’une période définie et d’en faire un rapport statistique. Les résultats sont attendus pour 2024.

En parallèle, des démarches sont menées auprès de l’Insee notamment pour tenter d’obtenir la création d’entrées statistiques qui permettraient, sur le long terme, de continuer à suivre l’évolution de l’accidentologie dans la profession cordiste. Si la création d’un code APE « Travaux sur cordes » semble compromise à court terme, d’autres pistes sont étudiées, notamment celle de créer une rubrique métier « cordiste » au sein de la nomenclature PCS (classification qu’on retrouve notamment sur nos contrats de travail).

Formations

Nous avons alerté sur les défaillances en matière de supervision dans les compétences enseignées au sein des différents référentiels de formation des cordistes. Comment superviser des travaux notamment « de telle sorte qu’un secours puisse être immédiatement porté au travailleur en cas d’urgence » (art. R4323-89 du code du travail) ? Les formations qui existent en France sont toutes plus ou moins défaillantes sur ce point, en premier lieu le CQP 2 (« technicien cordiste »), qui ne prévoit actuellement pas dans son référentiel d’enseigner cette nécessaire compétence en matière de supervision des travaux ni, a fortiori, d’en vérifier l’acquisition.
Depuis, les organismes détenteurs des trois principales certifications ont annoncé une évolution de leurs référentiels dans ce sens-là : le Greta, avec le module Supervision du futur CATC-S ; FTC, avec la création d’un 3e CQP sur chantier (« superviser les travaux sur cordes sur site ») ; et Irata, avec la création possible d’un niveau 4, qui ‒ en plus des compétences en matière de gestion de secours complexes requises pour le niveau 3 ‒ apportera des compétences globales en matière de supervision des travaux sur cordes.

Un tableau des équivalences entre ces différents référentiels a été demandé.
À ce sujet, des discussions sont en cours entre les organismes détenteurs des certifications.

Étude des risques spécifiques rencontrés par les cordistesDéfinition de recommandations

Les seules données disponibles, celles des accidents mortels dont sont victimes les cordistes, permettent déjà quelques enseignements.

Sur 34 décès :

  • 20 sont la conséquence d’une chute de hauteur (dont au moins 8 concernent des cordistes qui n’étaient pas attachés ; et 3, des cordistes qui travaillaient sans corde de sécurité)
  • 19 ont eu lieu sur des chantiers TP
  • 8 sont la conséquence d’éboulements rocheux
  • 5 se sont produits en silo ou autre espace confiné.

Sur la base de ces constats, trois cibles prioritaires ont été identifiées.

Les CHUTES DE HAUTEUR
Il ressort que ces accidents ont principalement pour cause une négligence des systèmes anti-chute lors des travaux de plain-pied. Mais aussi, une certaine persistance de la non-utilisation de la corde de sécurité pour les travaux en suspension sur corde. Des rappels de la réglementation, ainsi que des supports de sensibilisation, seront produits.

Les TP et ÉBOULEMENTS ROCHEUX
Le secteur des travaux publics est identifié comme particulièrement accidentogène, présentant notamment une grosse défaillance dans la gestion des risques d’éboulement rocheux. Des échanges autour d’un projet de guide porté par FTC et l’OPPBTP sont en cours. En parallèle, un sous-groupe de travail est en cours de création, notamment afin d’intégrer dans les échanges des maîtres d’ouvrage, des bureaux d’étude géotechnique et des coordonnateurs sécurité. Sur cette question spécifique des éboulements rocheux, l’association et le syndicat Solidarité Cordistes ont commencé par tenter de dresser un état des lieux en échangeant avec de nombreux acteurs des travaux de sécurisation de falaises (cordistes, bureaux d’étude, coordonnateurs SPS, professionnels des équipements de détection d’éboulements rocheux (radar, caméra de déformation…), USG (Union syndicale géotechnique), maîtres d’ouvrage, projet C2ROP…). À partir de l’ensemble de ces retours d’expérience, nous avons établi une liste d’idées générales qui permettraient de prendre à bras le corps cette problématique. Nombre de ces idées seront étudiées dans le cadre du futur sous-groupe de travail dédié.

Les SILOS et autres espaces confinés
Si la question des risques liés aux espaces confinés au sens large a été pointée, priorité a été donnée à l’encadrement des risques propres au travaux réalisés dans des silos (accumulateurs de matière solide), et donc notamment des risques d’ensevelissement. À la suite de l’accident de Quentin, en 2017, dans un silo de drêches de l’usine Cristanol, un projet de « guide silo » avait vu le jour, intégrant notamment la MSA, l’inspection du travail, un collègue cordiste, le SFETH et l’OPPBTP. Abandonné en 2019, à la suite du désengagement de certains membres du groupe, le projet n’a jamais abouti. Ce projet de guide est repris par l’actuel groupe de travail, et sous le pilotage d’Irata.

Projets d’évolutions réglementaires

Plusieurs points principaux sont portés par l’association et le syndicat Solidarité Cordistes :

  • Obligation de plan de prévention écrit : Préciser les dispositions actuelles pour s’assurer qu’elles puissent s’appliquer à l’ensemble des chantiers de travaux sur cordes, qu’ils aient lieu au sein d’une entreprise utilisatrice, d’un chantier clos et indépendant, ou même chez un particulier. Proposition que cette clarification passe notamment par l’ajout de la mention « travaux sur cordes » à la liste des travaux dangereux établie par l’arrêté du 19 mars 1993 fixant, en application de l’article R.4512-7 du code du travail.
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  • Création d’un dispositif imposant la formalisation d’une étude comparative des moyens d’accès avant tout lancement de travaux sur cordes à transmettre à l’inspection du travail, dans l’esprit des dispositions liées à l’amiante.
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  • Actualisation de l’arrêté du 24 mai 1956 relatif à la prévention des accidents susceptibles d’être provoqués par des accumulateurs de matières. Il y est notamment encore évoqué l’emploi de cordes en chanvre et de corbeille servant de nacelle… Paradoxalement, cet arrêté reste bien plus adapté aux risques liés au travail en silo que bien des modes opératoires mis en place aujourd’hui par les entreprises de travaux sur cordes. Il est donc urgent de le remettre au goût du jour pour imposer les règles élémentaires de sécurité qu’il contient.



Enfin, deux autres propositions devraient être abordées à partir de 2024 :

  • Certification obligatoire des entreprises : Depuis quelques années, une réforme du cadre réglementaire des travaux hyperbares (scaphandriers) a rendu obligatoire une certification des entreprises pour la réalisation de ce type de travaux. Plusieurs membres du « groupe de travail DGT » suggèrent de réfléchir à la mise en place d’une réglementation similaire pour les entreprises ayant recours à des travaux sur cordes.
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  • Révision de la note DGT  : En décembre 2019, la DGT et l’OPPBTP publiaient une note « aux donneurs d’ordres et entreprises concernés par les travaux réalisés au moyen de cordes ». Plusieurs points de cette note seraient à compléter ou à préciser. Pour cela, un questionnaire devrait être diffusé en 2024 aux donneurs d’ordres, aux entreprises de travaux sur cordes et aux sociétés d’intérim afin de déterminer les points qu’il serait nécessaire de modifier.

Pour la suite

Ce groupe de travail est donc prévu pour durer au moins jusqu’en 2025.
Plus qu’une simple voix au chapitre, l’association et le syndicat sont depuis le début force de proposition sur une large part des sujets traités. Mais tout n’est pas toujours simple, loin de là.
Si, dans la théorie, l’enjeu d’une lutte contre les accidents du travail est partagé par l’ensemble des participants, dans la pratique les intérêts spécifiques de chacun, parfois contradictoires, ne sont pas toujours facilement conciliables.
Un extrait du dernier livre édité par l’association, Un jour j’irai là-haut, résume assez bien la situation :

« parallèlement […] nous menons de front la lutte contre les institutions.
Et ce n’est pas la moindre de nos peines. À notre bonne volonté s’oppose la force de l’inertie. Qu’elle soit volontaire, comme celle du syndicat patronal, ou inhérente à la structure, comme celle de la direction générale du Travail. En face de nous, des machines.
Maîtresses du temps et de l’argent. Face à ces édifices granitiques, nous sommes objectivement bien faibles. »

Mais soit.
S’il peut nous arriver de nous sentir bien désemparés et impuissants face à tant de lenteurs et d’obstacles, une chose ne changera pas et continuera de constituer notre force principale : notre détermination. Une détermination inaltérable, car animée par l’implacable besoin de ne pas laisser sa vie ni sa santé au travail. Et peut-être plus encore, par un refus viscéral de s’imaginer un jour témoin d’un tel drame s’abattant sur un de nos collègues.

Pour la suite, des collègues, membres de l’association ou du syndicat, continueront d’aller défendre bec et ongles nos intérêts en tant qu’ouvrières et ouvriers cordistes. Pour cela, l’avis et les idées de toutes et tous sont plus que jamais les bienvenus pour affiner l’ensemble de ces revendications.

Et plus que dans les bureaux parisiens des institutions, c’est au quotidien, dans la poussière et la sueur des chantiers que se joue en réalité le réel rapport de force. En refusant les conditions de travail dangereuses et indignes. En réclamant toujours plus de protection. En prenant soin des unes et des autres, surtout des trop nombreux collègues débutants, souvent les plus vulnérables. En bref, par la solidarité entre nous toutes et tous qui œuvrons sur les chantiers, et y risquons chaque jour notre peau.

Pour discuter de tout ça et continuer à tisser ces réseaux de solidarité, on vous propose déjà de commencer par une série de dates où se retrouver prochainement.
Une tournée « grand Nord » de discussions et rencontres de cordistes.
Une tournée « recueil des doléances » pour épaissir nos revendications à la DGT.
Une tournée pour se rencontrer hors des chantiers et construire nos solidarités.

TOURNÉE GRAND NORD !

Paris, Lille, Reims, Amiens
du 22 au 25 novembre
2023
Présentation et échanges autour du nouveau livre « Un jour j’irai là-haut« , mais aussi plus largement sur le métier de cordiste, et les batailles qui y sont menées pour défendre de meilleures conditions de travail.


Pour les personnes intéressées, un temps spécifique sera prévu pour décortiquer et questionner les revendications portées par l’association depuis un peu plus d’un an auprès de la Direction Générale du Travail et auprès des différentes instances patronales.

Et tout simplement, ce sera aussi l’occasion d’une rencontre de cordistes au niveau local. Pour se croiser en dehors des chantiers et de nos boîtes respectives, se filer des tuyaux, échanger nos contacts, tisser des réseaux de solidarité. 

Alors, vous venez ?




> MERCREDI 22/11 – 19h
PARIS – Bar El Zokalo
(49 Rue Pixérécourt, 20ème)

> JEUDI 23/11 – 19h
LILLE – Kebab l’Aspendos
(10 rue des Sarrazins)

> VENDREDI 24/11 – 19h
REIMS – Studio de Radio Primitive
(26 rue de Docteur Schweitzer)

> SAMEDI 25/11– 19h
AMIENS – (précision du lieu à venir)

À bientôt dans le grand Nord ! Et, si vous avez sous la main une arrière-salle de bar, un lieu un peu central dans votre coin, n’hésitez pas à proposer d’autres dates qui pourront être organisées dans les mois à venir !

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