RÉCIT – Championnat de France des cordistes 2024 : « On est là, même si FTC le veut pas ! »

Reportage réalisé par la Télé//vision de rue Primitivi

Les jeudi 27 et vendredi 28 juin 2024, c’était la onzième édition du championnat de France des cordistes, qui se tenait à la cité des Arts de la rue à Marseille.

Durant les deux jours, 102 cordistes concourent sur des épreuves finement préparées. Brillantes de matériels neufs qu’on aimerait voir plus souvent sur les chantiers.
En parallèle, fabricants de matériels, agences d’intérim et centres de formation tiennent des stands pour promouvoir une profession toujours en plein essor.

De leur côté et comme prévenus en amont, ni l’association, ni le syndicat, qui représentent conjointement les ouvrières et ouvriers cordistes, n’ont droit pas à un stand.
Dont acte, un stand mobile est installé sur une clé de portage. Achalandée en brochures, livres, fiches juridiques et témoignages de boulot, le stand mobile passe d’épaules en épaules durant les deux jours pour le faire déambuler le long des allées du championnat.

En plus des nombreuses publications déjà disponibles, c’est une nouvelle édition de la Gazette des prolos au championnat des patrons qui, rédigée pour l’occasion, est massivement distribuée. Au sommaire, les dernières actualités du métier et des luttes en cours.
Les discussions s’enchaînent. Infos et expériences sont échangées. Les contacts aussi.

Le jeudi, jour d’ouverture du championnat, Iason, un collègue cordiste, décède à l’hôpital. Une semaine après son grave accident sur un chantier à Lourdes. Funèbre coïncidence. Le troisième de l’année. Le trente sixième depuis 2006. Peu de temps avant, en avril, c’est Philippe, qui chutait mortellement à Nice, et Marc, qui perdait la vie dans un accident de trajet avant d’arriver sur chantier un lundi matin.

Vendredi 17h, le championnat de France des cordistes se termine. C’est l’heure de la remise des prix. Le public se masse au pied du podium. Concurrents de la compétition, organisateurs, spectateurs. C’est le moment qu’ont choisi les membres de l’association Cordistes en colère cordistes solidaires pour intervenir.

Juste avant l’annonce du palmarès, Greg demande la parole au speaker de la compétition. Celui-ci renâcle, un peu, parlemente, mais cède rapidement le micro. C’est que cette année, l’expression des travailleuses et travailleurs n’était pas de mise.

L’intervention le rappelle : En 2019, vous nous aviez acceptés du bout des lèvres. Pensant peut-être que nous ferions de la figuration. En 2022, vous nous avez opposé un refus catégorique. Vous avez toutefois accepté le syndicat Solidarité Cordistes, pensant peut-être qu’il ferait de la figuration. Cette année, pas d’association, pas de syndicat. Circulez, y a rien à voir. Y a rien a dire. Pour plus de sûreté, vous avez également supprimé la table ronde, évacuant ainsi toute velléité de prise de parole qui ne vous caresserait pas dans le sens du poil. Vous appliquez pour une fois le premier des principes généraux de prévention énoncé par le Code du travail : supprimer le risque. On aimerait vous voir appliquer le même zèle lors de l’organisation des chantiers. La suppression de cet espace de parole constitue une marque de mépris pour nous, travailleuses et travailleurs.

Une sono était prête, au cas où le micro aurait été refusé. Une banderole est déployée. La parole s’impose. Par tous les moyens. Ici la négociation impromptue a suffit. Grâce en soit rendue à l’organisateur conciliant. Il est vrai que les circonstances particulières ont prévalu à la raison.

Durant quelques minutes, Sacha et Greg se relaient au micro pour lire la prise de parole écrite minutieusement pour l’occasion. Un fil conducteur en ressort. Les accidents, dont il faut accepter de parler. Mais plus encore, dont il faut réussir à tirer enseignement. Pour espérer, qu’enfin, des mêmes causes cessent de reproduire des mêmes accidents.

VIDÉO COMPLÈTE – prise de parole + minute de silence

Pendant que Sacha termine la prise de parole, un sifflement retentit. Un sifflement qui résonne comme une huée lugubre et indigne. Solitaire, isolée, comme désespérée. Le sifflement d’Ivan Muscat ne couvrira pas la voix de Sacha, dénonçant la mort au travail. Ivan Muscat est peut-être impatient, sachant que quelques minutes après il montera sur la troisième marche du podium. La mort de trois cordistes depuis le début de l’année, dont un la veille pendant qu’il concourait, cela ne l’émeut pas. Ne le révolte pas. Ce qui le révolte c’est d’attendre. Il siffle. Pathétique oiseau d’un augure mauvais. Oubliant que l’homme peut faire preuve de dignité face à la mort de son semblable. Si tant est qu’il en soit pourvu.
Mais sa brève fulgurance n’interrompt rien.

Le message de l’association est passé. Digne et calme. Ferme et sans concession. Dans l’attention et le silence. Malgré quelques marmonnements discrets de détracteurs.
À l’issue de la prise de parole, une salve d’applaudissement s’élance.
Sacha l’écourte en demandant qu’une minute de silence soit respectée.
En hommage à Iason.
Mais aussi à Philippe, Marc, et tous les autres.
Après deux jours de brouhaha, la cité des Arts de la rue se fait silencieuse.
L’assistance, digne, rend collectivement hommage.

L’organisateur reprend ensuite le micro et annonce la reprise du programme.
La salve d’applaudissements reprend, sans retenue. Émaillée de bravos, de mercis.

Une fois le silence revenu, la remise des prix peut enfin commencer. À tous seigneurs tout honneur, ce sont les hommes qui inaugurent les récompenses. Comme aux jeux Olympiques, un bonhomme sur chaque marche du podium. Ils arborent fièrement le chèque géant qui leur est alloué. Puis on appelle les femmes. Comme au jeux Olympiques ? Pas vraiment. Les hommes sont restés sur le podium. Les femmes n’y monteront pas. Et pour ce qui est de leur classement ? On ne sait pas, ce n’est pas clair… les organisateurs semblent en tous cas n’en avoir rien à faire. Elles sont seulement appelées, toutes en même temps, au pied du podium pour la photo. Pour faire de la figuration semble t-il. Dans le public, les protestations fusent. Las, la cérémonie continue de se dérouler.

Il faudra que les femmes du collectif Haut pluri’elles interpellent les organisateurs pour que l’erreur soit réparée. La justice rétablie. Les femmes monteront finalement sur le podium plus tard. Trop tard. Et elles, sans chèque…
Ultérieurement, le 2 juillet, France Travaux sur Cordes se reprendra au travers d’un communiqué : « Une régularisation sera faite afin que les trois finalistes féminines aient les mêmes récompenses que leurs acolytes masculins ». Le mal est fait, mais l’iniquité est reconnue et réparée.

Au long de ces deux jours, tout ce sera bien passé. Les compétiteurs ont performé. Les patrons ont fait briller leur vitrine et ripoliné leur image. Les velléitaires ont pu répandre leur parole. Faire entendre leur voix dissonante.

Pendant la prise de parole, Éric distribue la version imprimée aux spectateurs présents. Il félicite au passage Antoine Quidoz pour son 9ème titre de champion de France. C’est par ailleurs un employé du président de France Travaux sur Cordes, le syndicat patronal. Il lui répond : « Merci. Il faut d’ailleurs que je renouvelle mon adhésion. »

Peut-être qu’il ne faut pas trop l’ébruiter, mais Cordistes en colère cordistes solidaires était sur les marches du podium, par l’entremise de ses adhérents. Pour des gens qui abhorrent la compétition…

En 2019 et 2022, la parole et les revendications des ouvrières et ouvriers cordistes s’exprimaient avec un stand officiel. En 2024, elles s’exprimaient en déambulant.
En 2019 et 2022, le dialogue social avait une place dédiée, le temps d’une table ronde. Des échanges, parfois vifs, mais surtout nécessaires, pouvaient se tenir. En 2024, le dialogue social a dû s’imposer.

Qu’en sera-t-il en 2026 ?
Rendez-vous à la douzième édition pour le savoir.

2 réponses sur “RÉCIT – Championnat de France des cordistes 2024 : « On est là, même si FTC le veut pas ! »”

  1. Une fente entre 2 lés de grillage, c’est une chatte; quand il faut se dépêcher, on doit se sortir les doigts de la chatte; quand c’est lourd ou difficile, on n’est pas des PD. Et que dire des commentaires quand une personne de genre féminin passe à proximité du chantier…
    Alors que France Métiers sur couilles omet de faire un podium féminin ne m’étonne pas tellement tellement, c’est dans l’esprit…
    Sinon très belle intervention les copains, et le tee-shirt et autres goodies, c’est où qu’on les achète????

    1. Les goodies c’est pour bientôt. Tee-shirt et autocollants seront bientôt en commande sur le site 😉

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