Mardi 19 novembre, 18h.
Les trains s’éloignent de Bruxelles et filent à toute allure nous reconduisant vers nos pénates.
Éric dans sa Picardie, Greg dans les Cévennes, pendant que Valou a de son côté déjà redémarré une nouvelle semaine de chantier. Une semaine tout pile qui se termine après une tournée intense de l’association Cordistes en colère, cordistes solidaire.
Étude sur les conditions d’exercice des cordistes
La semaine de tournée démarre à Crolles le mardi précédent à l’occasion de la restitution de l’étude menée par des chercheurs de l’université de Lyon, portant sur les conditions de travail des ouvrières et ouvriers cordistes. Après une première étude publiée en 2017, ce groupe de chercheurs présente ce soir-là un deuxième volet d’étude. Celui-ci approfondissant certains sujets spécifiques déjà mis à jour en 2017 : sollicitation des épaules, fatigue et charge physiologique, la nécessaire adaptation des cordistes face à des chantiers souvent insuffisamment organisés, le turn-over important et la précarité liée aux situations de mobilité qu’elles soient subies ou choisies.
Nous y reviendrons dans une prochaine publication.
Réunions locales cordistes
Entre Crolles et Bruxelles, se sont intercalés Lyon, Paris, Marseille, Toulouse.
À chaque étape, rendez vous était donné aux cordistes pour une soirée en deux temps. D’abord une rencontre locale de cordistes, spécifique sur les problématiques du métier. Suivie d’une lecture à trois voix par Valou, Éric et Greg de textes tirés des bouquins édités par l’association, davantage tournée vers un public plus large.
Les cordistes sont là. Attentifs plusieurs heures durant.
Il faut dire que les problématiques auxquelles ils sont confrontés ne manquent pas : salaires, indemnités, sécurité, etc.
Des échanges d’expérience et de la mise en commun
Chaque soir, une vingtaine de cordistes ont des choses à dire. Des travailleurs confirmés, mais aussi des débutants. Et même des futurs cordistes encore en cours de formation. Venus entendre un autre son de cloche, sceptiques au sujet du rêve qui leur a été vendu.
Leurs paroles se succèdent, se complètent, s’encouragent.
Chaque réunion débute par un tour de table rapide. Chacune et chacun fait part notamment de ses conditions de rémunération. Une manière de suivre collectivement l’évolution des salaires et des indemnisations de frais de déplacement.
Tel un sondage pris à la volée auprès des 70-80 cordistes rencontrés, nous compilons dans les tableaux ci-dessous la synthèse de ces retours de terrain (colonne centrale du tableau) :
Difficultés et importance des rencontres locales
Après 6 ans d’existence de l’association, et autant d’années qui ont vu des réunions locales de cordistes s’égrainer, un constat émerge à propos de nos forces collectives et notre de capacité à nous organiser en tant qu’ouvrières et ouvriers. Que ce soit à Paris et Marseille, ou de manière plus éphémère ou récente à Lille, Rennes, Lyon ou Toulouse, les groupes locaux de cordistes ne prennent pas corps sur le long terme. Aussi mobiles que leurs contrats de travail, les cordistes vont et viennent dans les réunions. Pour autant, après plusieurs années de recul, le fruit de ces rencontres locales est limpide et enthousiasmant : se retrouver à plusieurs, même une seule fois, pour échanger sur nos conditions de travail, sur la réglementation à notre avantage qui est rarement appliquée, sur les conséquences dramatiques du manque de sécurité et de moyens sur les chantiers, … tout ça brise l’individualisme dans lequel le travail nous plonge au quotidien en le remplaçant peu à peu par du commun, du collectif. Et ça, c’est bel est bien l’arme la plus efficace pour se donner mutuellement confiance en nous, nous renforcer. On ne compte plus le nombre de collègues qui après de tels échanges nous racontent plusieurs mois ou plusieurs années plus tard comment ils et elles ont trouvé le cran d’exercer leur droit de retrait, de refuser fermement telle ou telle situation de travail, d’exiger les moyens nécessaires sur leur chantier, de négocier des augmentations de salaires, de faire appliquer leurs droits liés à l’indemnisation du travail en déplacement…
Sans compter les grèves spontanées qui ont fait leur apparition cette année : chez Profil à la fin de l’hiver et sur les chantiers de l’Atlantique fin avril. Des pratiques de lutte qui jusqu’alors étaient totalement étrangères à notre profession. Des pratiques qui démontrent et rappellent la force incroyable de la lutte collective.
Début 2025 : exercices secours et d’autres rencontres locales à venir
Pour toutes ces raisons au moins, l’aventure doit continuer et les rencontres se multiplier.
Trois prochains rendez-vous commencent à s’organiser.
En janvier sur Paris.
En février-mars sur Toulouse.
Début 2025 sur Marseille.
Prévues sur une journée complète, chacune de ces rencontres mêleront des exercices secours sur cordes l’aprem, précédés d’un moment d’échange le matin. Sur Toulouse, tellement le nombre de sujets a fusé lors de cette première rencontre, décision est prise de renouveler ces moments d’échange de façon thématique. Pour le prochain rencard de février-mars, il sera question du sexisme au travail, et des outils réglementaires à notre disposition pour nous prémunir des nombreux risques spécifiques présents sur les chantiers (amiante, plomb, champs électromagnétiques, températures extrêmes, etc.).
Peut-être d’autres sujets à Paris et Marseille ?
Et Bruxelles dans tout ça ?
Lundi matin, 18 novembre, on s’éveille un peu ahuris. D’avoir dormi une nuit complète. Dans un vrai lit. Et quel lit. Celui de la chambre 2124 du Président. Hôtel 4 étoiles de Bruxelles.
Le contraste est saisissant. La nuit dernière, on l’a passée dans le camion de Greg, dans une rue de Nîmes. Les précédentes sur le plancher d’appartements Lyonnais et Marseillais. Et mieux encore, sur le siège exigu d’un Flixbus brinquebalant nuitamment sur l’autoroute A6.
Que les adhérents se rassurent, on n’est pas en train de dilapider le pécule laborieusement amassé par Cordistes en colère. Nous sommes ici à l’invitation tous frais payés de députés européens.
Dans quelques minutes, nous entrerons dans le parlement européen pour y délivrer quelques informations sur les conditions de sécurité dans le métier.
Une modeste contribution aux côtés des témoignages d’autres secteurs d’activité : les cadences et amplitudes horaires infernales dans le secteur des soins à la personne en Suède, les conditions de travail au Danemark, en Italie, en Espagne, les travailleurs précaires et sans papier en Suède, les travailleurs viticoles en France, etc. Les témoignages s’enchaînent et sont complétés de données plus transversales et européennes. Mais surtout des témoignages et revendications de familles du collectif Stop à la mort au travail.
Voir ici le programme et la vidéo des débats : https://left.eu/events/stop-death-at-work/
En 2021, la commission européenne se targuait d’adopter la «Vision zéro» à l’égard des décès liés au travail. Sans mesures spécifiques. Sans moyens débloqués.
Au parlement européen, ces 18 et 19 novembre avaient pour but d’aboutir à une proposition de 10 mesures à intégrer aux futures directives européennes : un observatoire européen des morts au travail, des formations dès les collèges et lycées, des formations obligatoires pour les employeurs, un objectif européen à 1 inspecteur du travail pour 5000 salariés (1/12 000 aujourd’hui en France), le renforcement des sanctions pénales, la création d’un fond européen pour les familles de victimes d’accident du travail, etc.
Nous ne sommes pas dupes, les arcanes de la politiques sont plus tapissées de promesses que d’actes, surtout dès que les enjeux économiques se dressent.
Pas d’illusions a avoir.
Juste la parole de travailleuses et travailleurs à porter.
Juste la réalité des conditions de travail à marteler, à ne pas laisser sous silence.