Quelques mois avant…
En février 2023, plusieurs agences d’intérim diffusaient la même annonce :
« Recherche pour son client :
6 cordistes qualifiés pour le nettoyage de vitres pour une durée de 2 mois à partir du 23 février à Puteaux. Travail de grande hauteur, 220 mètres. L’intervention consistera en une descente par jour en continu de 8 heures à 16 heures. GD : 51 €/j. Expérience et KIT nécessaires. »
À juste titre, de nombreux cordistes s’étaient immédiatement outrés de telles conditions : EPI fournis par l’intérimaire, et huit heures sans pause suspendu dans un harnais ! Il n’y a que ceux qui ne mettent jamais leur cul dans un baudard qui peuvent imposer de telles conditions…
Après les séries de commentaires incendiaires de collègues, et les mails de l’association adressés directement aux agences d’intérim concernées, ces multiples annonces disparaissaient enfin des réseaux. Six mois plus tard, on ne sait toujours pas quelle est l’entreprise utilisatrice qui s’est permis de proposer un travail à de telles conditions.
…un chantier avec Cabestan sur la Tour Hekla
Mais, dans le courant de l’été, des collègues lésés par la société Cabestan contactent l’association…
En effet, au début de mai 2023, cette société les avait missionnés sur un chantier via diverses agences d’intérim, dont notamment Actrium Évreux GTS, Menco Évreux et Ergos Cordes.
Le chantier en question consiste au nettoyage des vitres de la tour Hekla. Une tour de 220 mètres de hauteur. Située sur la commune de Puteaux, dans le quartier de la Défense… Étranges coïncidences…
Les cordistes ont droit à une pause et n’ont pas à fournir leurs propres EPI. Ouf ! En revanche, l’équipe est entièrement composée d’intérimaires, débutants pour la plupart, et titulaires uniquement du premier niveau de formation (CQP C). Plus : un cordiste autoentrepreneur qui, de son côté, fournit la plupart du matériel nécessaire (sangles, cordes, mousquetons, agrès manquants sur les harnais, etc.). Durant la mission, aucun responsable ou autre salarié de la société Cabestan ne se déplace sur le chantier. Aucun mode opératoire ni plan de prévention n’est présenté. Aucune indication n’est fournie sur les points d’ancrage à utiliser. Aucune note de calcul n’est élaborée pour ces points d’ancrage. Enfin, aucune planification des secours sur cordes n’est communiquée aux cordistes, aucune simulation de ces secours n’est réalisée avec eux.
Le 10 mai, le cordiste sous-traitant cesse de travailler sur le chantier, emportant avec lui l’ensemble de son matériel.
Opérant déjà dans un cadre de travail particulièrement dégradé, l’équipe de cordistes intérimaires se retrouve alors sans matériel pour travailler en sécurité. Face aux nombreux dangers graves et imminents auxquels ils sont exposés, c’est à juste titre qu’ils exercent leur droit de retrait en informant en ces termes la société Cabestan : « […] nous utilisons notre droit de retrait car nous ne pouvons plus accéder en sécurité à nos cordes de travail. De plus nous n’avons plus de CQP2 ou C.D.I. sur place. »
La liste du matériel manquant est envoyée à Éric Sauffroy, responsable de Cabestan.
Les agences d’intérim sont prévenues.
L’équipe reste sur le chantier à disposition et en attente de directives. La journée se termine, et toujours aucune réponse de Cabestan pour supprimer les dangers graves et imminents qui menacent les cordistes.
Les seules réponses viennent des agences d’intérim : fin de mission, vous ne revenez pas travailler demain.
Le mois s’écoule, et arrive le moment des payes.
Et là, surprise ! Thibaud et Ekaterina sont payés 3 heures de travail pour la totalité de leur mission, laquelle s’étalait sur une période de 10 jours, dont 7 travaillés ! Pour Ekaterina, certaines heures, pourtant travaillées, sont même payées en intempérie. Pour Thibaud, qui est limousin, seul un grand déplacement est payé pour les 10 jours passés à Paris, à plus de 500 kilomètres de chez lui.
Une sanction dissimulée pour avoir exercé leur droit de retrait ?
Tout de suite, les deux cordistes contactent leur agence d’intérim respective pour demander un rectificatif. Actrium Évreux pour Thibaud. Et Menco Évreux pour Ekaterina.
Les agences contactent Cabestan, qui, placide, répond : « Après vérification auprès de Éric Sauffroy, les heures à prendre en compte sont celles du relevé que nous vous avons adressé. »
En bref, ne changez rien et tenez bon face à ces intérimaires.
Demander un salaire pour un travail effectué, non mais quel culot ces intérimaires !
Les échanges traînent, et fin juillet Thibaud et Ekaterina ne voient toujours rien venir.
Thibaud contacte alors l’association. Un premier courrier est envoyé à son agence et à Cabestan pour leur réclamer son dû et dénoncer le traitement qu’il a subi. Il leur est rappelé que, selon l’article L8221-5 2° du Code du travail, est qualifié de travail dissimulé le fait de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli. Actrium annonce qu’elle va se rapprocher de Cabestan pour demander des explications. Pas de nouvelles d’Actrium. Relance. Cabestan vérifie. Pas de nouvelles. Relance. Ah ! Oui… Cabestan a vérifié, tout est bon, il n’y a pas d’erreur. Demande d’explications. Comment pouvoir payer seulement 3 heures pour 7 jours de travail effectif ? Si Thibaud avait réellement été absent après trois heures de travail, Actrium n’aurait-elle pas dû s’en inquiéter plut tôt ? Il aurait pu lui arriver quelque chose. Non, car Actrium sait que Thibaud n’était pas absent. Edwige Clément, la responsable d’Actrium, hausse le ton et lâche un : « Faites ce que vous voulez ! mais la position de l’agence ne changera pas », et raccroche. Tentative de rappel immédiat : « Je n’ai plus rien à vous dire ! », et raccroche. Fin du dialogue avec cette agence d’intérim.
En parallèle, Ekaterina contacte elle aussi l’association. Idem, courrier à son agence et à Cabestan. Menco annonce qu’elle va se rapprocher de Cabestan.
Cette fois-ci, Cabestan répond : « Après investigations, nous vous adressons ci-joint le relevé de mai modifié, qui annule et remplace le précédent. Nous vous confirmons qu’Ekaterina était en intempérie les 4 et 5 mai pour cause de pluie et vent en grande hauteur, absente le 9 mai et à nouveau en intempérie le 10 mai pendant 4 heures (pluie et vent en grande hauteur). »
Cabestan lâche et accepte donc le paiement de deux journées plutôt que trois heures, mais continue de contester trois autres journées qu’elle prétend en intempérie. Pourtant, ces mêmes jours, aucun relevé météo ne mentionne de vent ou de pluie empêchant les interventions prévues. Pourtant, ces mêmes jours, Ekaterina et toute l’équipe travaillaient normalement sur le chantier… Relance de Menco. Attente.
Un épilogue ?
Pour Thibaud, c’est au point mort, on passe à la phase 2 : relance d’Actrium et de Cabestan avec copie aux inspections du travail concernées et à l’agence d’intérim d’Ekaterina, pour indiquer que les affaires sont liées. L’inspection du travail en charge du chantier met en demeure les sociétés de régler à Thibaud ce qu’elles lui doivent.
Pour autant, rien ne bouge et ne bougera plus du côté de Thibaud.
Pour Ekaterina, au bout de quelques jours, la réponse arrive. Malgré l’entêtement de Cabestan, l’agence Menco concède verser à Ekaterina tout ce qui lui était dû (heures travaillées et frais de déplacement liés aux journées initialement comptées comme jours d’absence). Une réponse de Menco bien tardive quand on considère les deux mois d’efforts, d’écrits, de relances, d’attente, d’humiliation et de non-prise en compte qu’aura passé Ekaterina pour obtenir, simplement, son salaire !
Une petite victoire donc. Une petite victoire remportée au prix de nombreux efforts, mais une victoire qui montre qu’il ne faut jamais rien lâcher sur nos droits !
Ne rien lâcher, c’est bien ce que compte faire aussi Thibaud.
Rendez-vous est pris avec une avocate.
Le dossier se monte et sera bientôt déposé au conseil des prud’hommes.
Affaire à suivre…